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Plusieurs idées principales issues du rapport d’Éric Woerth remis à Emmanuel Macron pour réviser la décentralisation en France afin d’améliorer l’efficacité démocratique. Le député de l’Oise suggère de réintroduire le cumul des mandats de député et de maire pour renforcer le lien entre les politiques nationales et locales. Il propose la création de conseilleurs territoriaux, un élu unique pour représenter à la fois la région et le département, une fonction qui avait été supprimée en 2024.

Il recommande de dissoudre la métropole du Grand Paris au profit de la région Île-de-France pour une meilleure gouvernance locale. Woerth insiste sur la nécessité de réaffirmer les rôles spécifiques des communes, départements et régions pour éviter la dilution des responsabilités. La parité et réduction du nombre de conseillers municipaux. Il souhaite imposer la parité homme-femme dans tous les conseils municipaux et réduire de 20% le nombre de conseillers dans les petites communes. Il propose également de modifier le mode d’élection des conseils municipaux à Paris, Lyon et Marseille pour résoudre les problèmes démocratiques. Une réorganisation des institutions locales en suggérant de supprimer la clause de compétence général du Grand Lyon et de réviser la gouvernance de la métropole d’Aix-Marseille-Provence.

Woerth préconise d’accorder aux intercommunalités la responsabilité de certaines politiques comme le logement et le sport. Les régions devraient se concentrer sur la transition écologique, l’action économique et l’enseignement supérieur, favorisant un rôle renforcé des régions. Il propose d’attribuer à chaque niveau de collectivité une part d’impôt national lié à ses compétences pour une meilleure autonomie financière en vue du financement des collectivités. Enfin, Woerth souhaite renforcer les pouvoirs des élus locaux en matière de gestion des ressources humaines dans la fonction publique territoriale.

Ces propositions visent à simplifier et à rendre plus lisible l’organisation territoriale française en clarifiant les compétences et responsabilités à chaque niveau de collectivité pour restaurer la confiance des citoyens dans les institutions locales.

Pour aller plus loin : Lire le rapport 


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Le statut spécifique de la Nouvelle-Calédonie est issu d’un long processus historique. Les compétences sont réparties entre l’État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes.  Après trois référendums d’autodétermination qui ont rejeté l’accès à la pleine souveraineté, l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est toujours interrogé.

Dès 1999, Gérard Logié, membre du comité de réflexion pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, explorait dans nos colonnes les diverses étapes et perspectives vers la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie à la suite des « accords de Matignon ». [1]

Des accords de 1988 au référendum de 2021

Les accords de Matignon-Oudinot, signés en 1988, prévoyaient une période de dix ans de développement économique, social, culturel et institutionnel avant la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1998.

Le 5 mai 1998, un nouvel accord, l’accord de Nouméa, est signé entre l’État, les indépendantistes et les loyalistes. Il poursuit la revalorisation de la culture kanak (statut coutumier, langues…), crée de nouvelles institutions et prévoit un processus de transfert progressif et irréversible de compétences à la Nouvelle-Calédonie, dans l’attente d’un référendum d’autodétermination reporté au plus tard, à 2018.

À la suite de l’accord de Nouméa, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie[2] est promulguée (le titre XIII de la Constitution [3]est désormais consacré à la Nouvelle-Calédonie). La loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie précise son statut.

Entre 2018 et 2021, trois référendums d’autodétermination sont organisés en Nouvelle-Calédonie :

  • Un premier référendum d’autodétermination est organisé le 4 novembre 2018. La victoire du « non » ouvre la voie d’un nouveau référendum, car la loi de mars 1999 prévoit jusqu’à trois votes en cas de victoire du « non ».
  • Un deuxième référendum, organisé le 4 octobre 2020, donne à nouveau la victoire au « non ». Toutefois, le score est plus serré : alors que l’écart était supérieur à 13 points en 2018 (56,7% pour le non et 43,3% pour le oui), il est de moins de 7 points en 2020 (53,36% pour le non et 46,74% pour le oui). Le scrutin a mobilisé 85,69% des électeurs en 2020, contre 80,63% en 2018.
  • Le troisième et dernier référendum est organisé le 12 décembre 2021. Le « non » l’emporte avec 96,50% des voix. La participation à ce scrutin est de 43,87%, les indépendantistes ayant appelé au boycott.

Institutions et citoyenneté

L’État y est représenté par le haut-commissaire de la République.

La Nouvelle-Calédonie est divisée en trois provinces : la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté. Les provinces communes sont des collectivités territoriales. Chaque province possède une assemblée délibérante et dispose de représentant au Congrès. La loi reconnaît également des aires coutumières (subdivisions spéciales, parallèles aux subdivisions administratives de la Nouvelle-Calédonie, créées par la loi organique de mars 1999).

La loi institue une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Pour pouvoir voter aux élections des assemblées provinciales et du Congrès, il faut justifier d’au moins dix ans de résidence.

Les distorsions à l’origine de la restriction du corps électoral

Au départ d’ordre politique et démographique, ces distorsions apparaissent comme la manifestation du déséquilibre entre les composantes de la population et les enjeux politiques du pays. Sur le plan démographique, depuis la fin des années 1950, la population kanak est devenue minoritaire. Les raisons de cette évolution sont liées à une immigration voulue par la France, puis favorisée par le « boom du nickel » de la fin des années 1960. À l’arrivée de nombreuses familles pieds-noirs après l’indépendance de l’Algérie s’ajouteront des flux en provenance de la zone Pacifique et notamment de Wallis-et-Futuna. C’est ainsi que la population kanak est passée de 51,1% en 1056 à 46% en 1969. Le dernier recensement, prenant en compte les différentes ethnies, effectué en 1996, l’évalue à 44,1%.[4]

Sur le plan politique, des partis indépendantistes, comme le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) créé en 1984, vont se montrer hostiles à une telle immigration. Les masses de population étant numériquement assez faibles, le combat des indépendantistes devient plus difficile dès l’instant où les Kanak ne sont plus majoritaires, et la difficulté augmente mécaniquement à mesure de l’amplification du phénomène d’immigration.

Ces distorsions vont donc se trouver directement liées à la question de l’indépendance. Elles vont alors conduire les indépendantistes à revendiquer et obtenir la restriction du corps électoral dans le cadre d’un scrutin d’autodétermination. Toutefois, ce combat logiquement inscrit dans le schéma de l’accession à la pleine souveraineté, issu des accords de Matignon de 1988, aboutira, d’une manière plus originale, à l’acceptation d’une autre revendication : celle de l’extension de ce principe aux élections locales, plutôt inscrite ici dans une logique autonomiste, dans le cadre de l’accord de Nouméa de 1998.

La décentralisation issue de l’accord de Nouméa

La période allant de 1999 à ce jour a été marquée par la reterritorialisation de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci bénéficiant de la primauté au détriment des provinces. C’est en tout cas l’impression que l’on retire de la lecture de la loi organique du 19 mars 1999 qui traite de la Nouvelle-Calédonie avant les provinces et qui ne mentionne pas, à son article 2, les assemblées de province parmi les institutions de la Nouvelle-Calédonie, en méconnaissance du point 2 de l’accord de Nouméa, ce qui va conduire le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°99-410 DC du 15 mars 1999, à combler cette lacune.

Ce sont ensuite les transferts de compétence de l’État qui profitent principalement à la Nouvelle-Calédonie (droit civil, état civil, droit commercial, sécurité civile, enseignement des premier et second degrés…) avec un congrès formé d’une partie des membres des assemblées de province, élus cette fois-ci au suffrage universel restreint[5]. C’est la possibilité pour le congrès d’adopter des lois du pays ayant pleinement valeur législative et ce, même dans des matières de la compétence des provinces (régime du droit domanial, Code minier, régime des terres coutumières, fonction publique…). C’est la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer des impositions non seulement à son propre profit et à celui des provinces et communes, mais aussi au profit des groupements intercommunaux.

C’est la création d’un véritable exécutif pour la Nouvelle-Calédonie, élu par le congrès à la proportionnelle. Toutefois, cette reterritorialisation n’a pas donné les effets escomptés puisque, de l’avis général, le consensus n’a pas fonctionné : 17 gouvernements en vingt ans, dont certains ont mis plusieurs mois pour entrer en fonction.

Après les trois consultations ayant toutes conclues au refus de l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et malgré une contestation de la troisième sur un plan plus politique que juridique[6], la situation qui se présente est clairement fixée, dans son principe, par le point 5 des orientations de l’Accord de Nouméa qui ont valeur constitutionnelle : si la réponse est encore négative à l’issue des trois consultations, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique, mise en place par l’accord de 1998, restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

Il revient donc aux partenaires politiques, sans remettre en cause le droit à l’indépendance, de discuter de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en envisageant, le cas échéant, une sorte de fédéralisme à la calédonienne à l’intérieur de la France et peut-être même à l’intérieur de la Nouvelle-Calédonie.

Une réforme constitutionnelle met le feu aux poudres

La commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté mardi 7 mai 2024 le projet de loi modifiant le corps électoral pour les élections provinciales de fin 2024. Le texte a été soumis au vote en séance le lundi 13 mai 2024. Les députés ont adopté le texte, contesté par les indépendantistes, qui élargit le corps électoral propre au scrutin provincial de la Nouvelle-Calédonie. Faute d’accord entre indépendantistes et loyalistes, le Congrès se réunira « avant la fin juin » pour voter la réforme, a déclaré, Emmanuel Macron, le mercredi 15 mai 2024.

Depuis cette dernière date, la Nouvelle-Calédonie traverse une période troubles marqués par des manifestations violentes et des émeutes. La situation a débuté avec des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, entraînant des dégâts importants et des pertes humaines. A cette date, sept personnes dont deux gendarmes ont perdu la vie et plusieurs ont été grièvement blessées.

Les violences ont été déclenchées par des tensions autour de questions politiques et sociales, notamment liées aux réformes du corps électoral et aux revendications indépendantistes. Ces tensions se sont exacerbées au fil des jours, menant à des scènes de chaos avec des pillages et des incendies dans certaines régions, notamment à Nouméa.

En réponse à cette crise, le Président Emmanuel Macron a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale et a exprimé sa solidarité avec les Calédoniens. Il a insisté sur la nécessité de rétablir l’ordre républicain et a proposé de relancer le dialogue politique en invitant les représentants calédoniens à Paris pour des discussions. Un été d’urgence a été déclaré pour renforcer la sécurité et contrôler les violences. Il a été levé après 12 jours alors que le calme revient progressivement sur l’archipel.

En parallèle, le gouvernement français a déployé des forces supplémentaires pour soutenir les efforts de maintien de l’ordre sur le territoire. La situation reste tendue, et les autorités continuent à travailler à un apaisement durable des tensions.

Pierre-Nicolas KRIMIANIS

Bibliographie :

Clinchamps, Nicolas. « Distorsions et corps électoraux en Nouvelle-Calédonie ». Pouvoirs 127, no 4 (2008): 151‑65. https://doi.org/10.3917/pouv.127.0151.

Franceinfo. « Nouvelle-Calédonie : l’état d’urgence levé après douze jours, le calme revient progressivement sur l’archipel », 27 mai 2024. https://www.francetvinfo.fr/france/nouvelle-caledonie/nouvelle-caledonie-l-etat-d-urgence-sera-leve-mardi-matin-dans-l-archipel-annonce-l-elysee_6568016.html.

Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. « Un peu d’histoire », 4 avril 2016. https://gouv.nc/gouvernement-et-institutions/un-peu-d-histoire.

ina.fr. « La spécificité des électeurs calédoniens | INA ». Consulté le 27 mai 2024. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/nouvelle-caledonie-elections-provinciales-corps-electoral-accord-de-noumea-electeurs.

« La décentralisation et l’outre-mer | Conseil constitutionnel ». Consulté le 28 mai 2024. https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-decentralisation-et-l-outre-mer.

Le Monde.fr. « Nouvelle-Calédonie : l’Assemblée nationale vote la réforme constitutionnelle, après une nuit de tensions sur l’archipel ». 15 mai 2024. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/15/nouvelle-caledonie-l-assemblee-nationale-vote-la-reforme-constitutionnelle-apres-une-nuit-de-tensions-sur-l-ile_6233275_823448.html.

« Le statut de la Nouvelle-Calédonie| vie-publique.fr », 6 février 2023. https://www.vie-publique.fr/fiches/20236-le-statut-de-la-nouvelle-caledonie.


[1] LOGIE, Gérard. « Nouvelle-Calédonie : les chemins de la souveraineté ». Pouvoirs Locaux. Pouvoirs Locaux, numéro 41, juin 1999. https://www.revuepouvoirslocaux.fr/fr/article/nouvelle-caledonie-les-chemins-de-la-souverainete-1371.

[2] « Les lois constitutionnelles sur la Nouvelle-Calédonie | vie-publique.fr », 30 juillet 2019. https://www.vie-publique.fr/eclairage/268328-les-lois-constitutionnelles-sur-la-nouvelle-caledonie.

[3] Constitution du 4 octobre 1958 (s. d.). Consulté le 29 mai 2024.

[4] Alain Christnacht, La Nouvelle-Calédonie, La Documentation française, 2004, p.29.

[5] En 2007 et comme le réclamaient les partis indépendantistes, le constituant a désavoué le Conseil constitutionnel qui avait considéré, en 1999, que la condition de dix ans de résidence conduisait à un corps électoral glissant.

[6] Par décision du 3 juin 2022, le Conseil d’État a rejeté les protestations dirigées contre les résultats de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.


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Le nouveau Premier Ministre, lors de son discours de politique générale[1], s’est montré offensif en réaffirmant l’autorité républicaine.

Durant l’été, l’actualité s’est faite l’écho de plusieurs faits graves (Saint-Ouen, Saint Denis, Nice et Grenoble) sur fond d’occupation de l’espace par des bandes rivales notamment liées au contrôle du trafic de drogue.

C’est à Nice, précisément, que le 25 juillet dernier, le Premier Ministre a fait l’annonce de la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros.

Avant tout, reconnaissons que cette AFD — si elle est suivie et généralisée par le Parquet — permettra aux policiers d’éviter des procédures fastidieuses, aux effets limités qui les mobilisent au détriment de l’efficacité de l’action. Les principaux syndicats de police lui ont réservé un accueil assez bienveillant, reconnaissant que cette mesure constitue un gain de temps, leur permettant d’être plus efficace sur le terrain.

Mais l’est-elle pour l’autorité de l’État ? Sans doute trop tôt pour le dire : une évaluation devra être faite à courte, moyenne et plus longue échéance.

Tant que nous continuerons à minorer les incidences sur la santé publique de la consommation de stupéfiants y compris ceux qualifiés par démagogie de « drogues douces » voire d’acte récréatif, nous ne lutterons pas efficacement contre les trafics.

Pendant le confinement, le non-respect de cette disposition permettait aux forces de l’ordre d’intervenir et de sanctionner l’occupation abusive de l’espace public.[2] Nous pensons que pour être efficace, l’AFD de 200 euros pour consommation de stupéfiants doit se doubler d’une AFD pour occupation illégale de l’espace public, ainsi les forces de l’ordre tiendraient les deux bouts de la chaine répressive.

Nous pensons par ailleurs que si l’objectif est de frapper le consommateur au portefeuille, une amende forfaire délictuelle de 200 euros n’est pas significative, il faudrait doubler l’amende.

Nous pensons également qu’il faut que la manne financière provenant de l’AFD ne soit pas noyée dans le budget général de l’État mais fléchée et répartie comme suit :

– pour moitié (50%) dans des campagnes nationales de sensibilisation aux risques liés à la consommation régulière de stupéfiants.

– la seconde moitié restante doit venir sous la forme d’une dotation d’équipement pour les forces de sécurité.

Enfin, l’État — qui veut faire de la lutte contre « l’ensauvagement de la société » sa priorité — ne doit pas tomber dans le piège de la dépénalisation, d’autant moins s’il veut reconquérir les fameux territoires perdus de la République[3]. Pour se faire et selon une approche subsidiariste, l’opinion publique doit elle-même s’emparer de cette volonté et les représentants de l’État l’incarner au travers de deux vertus : la force et la tempérance pour un retour de la confiance.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Cédric GRUNENWALD[4]

[1] Ramenée à 150 euros si elle est acquittée dans les 15 jours ou majorée à 450 euros en cas de retard de paiement
[2] Contravention de 135 euros. Art L3136-1 du code de santé publique
[3] L’exemple de Saint Ouen en Seine Saint Denis où des habitants ont passé un accord avec des dealers pour qu’ils assurent la tranquillité publique montre la faillite de notre système républicain.
[4] Associé gérant du programme ForTemps, cabinet qui développe ses activités autour de l’équation Sécurité = Force & Tempérance.


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Dans son adresse aux Français, le 14 juin 2020, le président de la République a fait le constat que « les temps imposent de dessiner un nouveau chemin » qui reposerait sur « de nouveaux équilibres dans les pouvoirs et les responsabilités (…) l’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer. Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris ».

Comme souvent en période de crise, le regard se tourne vers le « terrain » et en l’espèce, vers les exécutifs territoriaux.

Généralement, s’ensuivent des propositions pour une nouvelle étape de décentralisation, étape qui s’apparente trop souvent soit à de la déconcentration, soit à une décharge de l’État sur des collectivités territoriales considérées comme des prestataires de services. Le scénario est classique — trop classique alors que l’heure des libertés locales a sonné. Faut-il alors le convoquer si l’objectif est de se réinventer ?

Un scénario de type Acte IV — ou V — de la décentralisation n’a rien d’évident.

Pourquoi ? Parce que le président de la République est seul. Le système de gouvernance de notre pays est vide et la verticalité du pouvoir présidentiel — assumée par Emmanuel Macron qui a fait le choix de la désintermédiation — flotte sur ce vide. Il en résulte que plus personne ne prend le relais des mesures décidées par l’exécutif. Le président de la République s’est peu appuyé sur les partenaires sociaux qui assistent aujourd’hui, marginalisés et désunis, à la ré-étatisation de la gestion de la sécurité sociale. Il en fut de même vis-à-vis des élus locaux accusés de mauvaise gestion alors que les analyses les plus sérieuses démontrent que, depuis plusieurs années maintenant, les collectivités ont retrouvé une capacité d’autofinancement importante.

Le président de la République est seul aussi parce que le caractère bicéphale de la Vé République, affecté par la mise en œuvre du quinquennat, fait de lui la cible et le fusible, en lieu et place du Premier ministre.

Cet état des lieux est grave. Invertébrée, la Ve République peine à se tenir débout. Son seul socle reste l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Cependant, pour qu’un président de la République soit fort, il faut que sa légitimité s’appuie sur d’autres légitimités. Quels sont les relais sur lesquels il lui serait possible de compter ? Depuis la limitation du cumul des mandats, les parlementaires sont hors sol et leur légitimité est faible. Quant aux partis politiques, ils sont aux abonnés absents. Les seules légitimités relais sont les collectivités territoriales. Pendant la crise des gilets jaunes et la période covidique, c’est la structure territoriale qui a tenu le choc dans un véritable esprit républicain. Les collectivités territoriales ont montré qu’elles étaient là, prêtes à agir et à répondre aux urgences.

Dans ce contexte, faut-il pour autant appeler à un nouvel acte de décentralisation ?

À mon sens, ce n’est pas en ces termes qu’il faut penser l’étape d’après. Le dialogue avec les collectivités territoriales n’existe plus. Il faut l’institutionnaliser. Non pas à la manière des conférences nationales des territoires dont les portes ont souvent été claquées dans une atmosphère de défiance généralisée.

La République connaît une contestation démocratique fondamentale mais avant d’adapter ou de changer la Constitution, il faut la faire revivre. Certes, l’architecture étatique est à revoir mais la puissance publique ne peut se revivifier sans que les collectivités territoriales ne soient associées à parité.

Rappelons-nous, que le Conseil national de la Résistance (CNR) auquel le général de Gaulle rendait hommage le 12 septembre 1944 s’est nourri — dans un esprit de paritarisme — des apports des organisations syndicales pour œuvrer à la rénovation de la démocratie politique, économique, sociale et culturelle du pays.

Dans cet esprit, plutôt qu’à un nouvel acte de décentralisation, j’en appelle donc à un paritarisme État-Collectivités. Le « nouveau chemin » doit être celui d’une alliance paritaire avec des droits et obligations de l’État et des collectivités territoriales.

Un véritable paritarisme institutionnel État-Collectivités doit être construit, non pas de manière accidentelle mais de manière structurelle.

La notion du paritarisme est difficile à délimiter, au-delà du fait que son étymologie renvoie au latin « pars » qui signifie « en nombre égal ». Il est toutefois possible d’en tracer des contours nets : le paritarisme Etat-collectivités aurait pour objectif de confier une partie de l’action publique aux collectivités territoriales, conçues comme des partenaires républicains les plus adéquats pour gérer certains enjeux d’intérêt général, encore faudra-t-il les délimiter sans tomber dans le récit inépuisable des domaines de compétences. Car le paritarisme dans son esprit n’est pas une doctrine mais davantage un « procédé » juridique qui produit du dialogue fécond et donc des décisions tendues vers l’action.

Entrer en paritarisme suppose de reconnaître l’existence d’intérêts à la fois antagonistes et légitimes et à les dépasser pour produire de la norme.

Outil de responsabilisation, le paritarisme repose une conception de l’intérêt général très différente de la pensée classique française issue de la Révolution. Ses sources doivent être davantage recherchées dans le principe de subsidiarité.

En écho à ce principe, les collectivités territoriales pourraient pleinement justifier leur intervention à parts égales avec l’État grâce à leur connaissance de l’action publique en « circuit court » plus efficace que les structures et procédures de l’État dans bien des politiques publiques.

Je rêve d’un président de la République (quel que soit son nom) qui prenne le temps de réunir les grands élus territoriaux — non par accident, mais volontairement — pour prendre ensemble les décisions nécessaires à l’avenir de notre pays.

Jean-Pierre Balligand
Président de l’Institut de la Gouvernance Territoriale et de la Décentralisation


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Par Jean-Pierre Balligand, président de l’Institut de la Gouvernance Territoriale

Le 6 janvier 2020, Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, lançait à Arras le processus de consultation territorialisé qui doit nourrir le projet de loi « décentralisation, différenciation, déconcentration » (3D) dans la perspective d’une présentation au conseil des ministres à la fin du premier semestre 2020. À cette occasion, la ministre a relié sa feuille de route aux annonces faites par le président de la République, lors du Congrès des maires, le 19 novembre 2019, à savoir que « la décentralisation devait s’assortir d’une logique d’efficacité dans la répartition des compétences, de lisibilité de l’action publique et d’une clarification des responsabilités fiscales ».

Sur le premier « D », le gouvernement souhaite « parfaire la décentralisation (…) dans les secteurs prioritaires du logement, des mobilités et de la transition écologique » ; prévoir « une dévolution du pouvoir réglementaire dans le champ des compétences déjà transférées ou susceptibles de le devenir » et développer « l’outil contractuel, la délégation de compétence et la participation à la gouvernance ». En matière de différenciation, il est question de promouvoir la différenciation sans attendre la révision constitutionnelle afin que « lorsqu’une spécificité objective le justifie, le droit puisse être adapté aux particularités du territoire national ». Par ailleurs, le gouvernement envisage « d’assouplir les conditions d’entrée dans les expérimentations locales et de renforcer l’accompagnement des collectivités territoriales dans leur conduite ». « Enfin, l’État devra poursuivre sa transformation par un vaste mouvement de déconcentration », écrit Jacqueline Gourault dans une lettre destinée aux Préfets du 13 décembre 2019.

Les actions annoncées s’apparentent peu sur le fond à un « vaste mouvement » tant elles font écho à des mesures déjà dévoilées courant 2019 : plans de relocalisation de certaines administrations hors de Paris et des grandes métropoles régionales ; déploiement du réseau France Services et de la nouvelle ANCT (Agence nationale de cohésion territoriale) qui a vu le jour le 1er janvier 2020 par un appui d’ingénierie personnalisé aux porteurs de projet.

Projet de loi « 3D », gare à l’illusion d’optique

S’engageant en 1982 dans la voie de la décentralisation, nous nous sommes arrêtés à mi-gué. Trente-huit ans après, ce qui mérite le plus d’attention dans cette affaire consiste en la différenciation. Une certaine autonomie normative des collectivités territoriale — que contient l’idée de différenciation — serait une chance pour la France et non un risque pour l’application du principe républicain d’égalité entre les citoyens même si vigilance il convient de garder. Cette évolution est logique, parce que seule elle permet de faire coïncider la théorie et la pratique de la décentralisation. Logique, parce qu’elle permet de répartir clairement les responsabilités politiques entre le niveau national et le niveau territorial. Logique, parce qu’elle permet de respecter des principes qui ne sont qu’en apparence contradictoires, l’égalité de traitement et la diversité des approches. Cependant, pour que l’affaire réussisse, il n’est pas inutile de rappeler qu’en matière de décentralisation, toute ambition implique une volonté politique forte d’aggiornamento. Et cette volonté, les élus territoriaux doivent les premiers en faire la preuve.

Renouer avec l’esprit militant de la décentralisation !

Sans doute faut-il que les égoïsmes territoriaux, les logiques de pouvoir, la morgue — même involontaire — des uns et des autres, les conservatismes de tous poils, s’effacent au bénéfice d’un processus de véritable dialogue. Du côté des élus locaux, il est temps de se faire confiance. Il est temps aussi de s’allier — l’union de l’Assemblée des maires de France, de celle des départements de France et de Régions de France à travers « Territoires unis » est de ce point de vue un bon début. Que les élus locaux aient le courage de faire les arbitrages nécessaires entre eux et de partir souder dans la négociation avec l’État. Il est temps que cessent les postures et les querelles de clochers celles-là mêmes qui ont empêché la vitalité des conférences territoriales de l’action publique (CTAP) initiées par la loi NOTRe. Les CTAP, un espace et un outil prometteur de bonne gouvernance locale, ont été malmenées — à quelques exceptions près ici et là — par des exécutifs bien en peine de coopérer et de se coordonner dans une mise en œuvre synchronisée de l’action publique à l’échelle de l’espace régional.

Par nature, l’État n’est pas généreux et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il le soit davantage aujourd’hui qu’hier, à l’occasion du projet de loi « 3D » dont on perçoit l’emballage marketing rien qu’à le nommer. L’État aime à voir les collectivités locales divisées et leurs élus se diviser. Pendant ce temps, les collectivités sont abonnées au rang de prestataires de services ou de sous-traitants d’un État qui se délestent des compétences qu’il ne veut plus ou ne peut plus assumer.

Si l’on est de ceux qui pensent que la puissance publique est dans les territoires, alors militons pour que l’application concrète du principe de subsidiarité, le respect de l’autonomie et de la responsabilité locales, mais aussi la prise en compte de la diversité, aient désormais pleinement droit de cité. Ce processus, seul le pouvoir politique territorial uni peut l’enclencher d’une seule voix. Puisse-t-on collectivement comprendre que l’état préoccupant de la sphère publique française dans son ensemble (État et collectivités locales), comme la gravité de la crise sociale dans notre pays, exigent des réponses autres qu’homéopathiques.

Prenons au mot le Conseil d’État lui-même qui énonçait dans les conclusions de son rapport public en 1993 : « la décentralisation n’est pas un simple habillage, un prêt à porter, elle exige des habits neufs, du sur-mesure ». L’État est-il prêt ? Il faut l’espérer. Toujours est-il que les exécutifs territoriaux se doivent de l’être. Ils sont à une croisée des chemins dans l’affirmation de leur capacité à se chaîner et à « faire alliance ». Souhaitons que les militants de la décentralisation se mettent en marche.

 

J-P. B


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« L’open data rapproche l’action publique des citoyens » déclarait le 17 novembre 2016 Estelle Grelier, Secrétaire d’Etat chargée des collectivités territoriales, à l’occasion des premiers Trophées pour les territoires[1].

Car oui, la transition numérique semble rendre la décision accessible à tous, les nombreuses initiatives prises notamment au niveau des collectivités tendent à le prouver : le choix du Conseil départemental du Nord de créer une base de données commune a ainsi amélioré son approche du territoire et offert une meilleure lisibilité de ses actions[2]. Le conseil départemental du Loiret, en lançant Loiret Numérique, marque clairement son choix de valoriser toutes les potentialités des différents usages du numérique pour que les collectivités du département coopèrent mieux[3].

En plus de gagner en efficacité, la solution semble même plus économique pour des résultats significatifs. Cet exemple confirme le statut du numérique comme véritable enjeu sociétal présent et à venir. Il se positionne aussi comme nouveau mode de gouvernance des territoires : archivage[4], gestion de l’eau[5], versement du RSA[6],…

 

La dépendance numérique : une piste sérieuse ?

Au delà de la volonté de rendre intelligible l’action publique et la gouvernance territoriale, la transition numérique doit nécessairement être maîtrisée par les acteurs publics, au regard de la nature des données collectées.

Si la gouvernance des territoires est amenée à se numériser davantage, les risques peuvent être nombreux : l’exemple d’une panne générale du système de données pourrait paralyser l’action publique et empêcher la bonne réception des informations nécessaires à une bonne coordination du processus de décision publique. Ce scénario laisserait imaginer une totale dépendance de la décision à la capacité numérique à moins d’initier des logiciels back-up de stockage d’urgence. Mais cette éventualité demande une capacité de maîtrise numérique.

Toutefois, le danger principal d’une numérisation de l’action publique réside dans la possibilité pour les opérateurs de se saisir des données des collectivités à des fins d’usage commercial. Il faudrait l’assurance que les collectivités puissent conserver une souveraineté sur les données mais cette garantie n’est pas acquise d’emblée. Ce nouveau mode d’administration laisserait la possibilité aux opérateurs et aux gestionnaires des logiciels d’utiliser à leurs propres fins certaines données.

Même dans un cadre d’usage exclusif de ces données par les collectivités, certaines dérives sont envisageables. Dans un souci d’amélioration des services, elles pourraient être tentées de personnaliser l’usage des données en utilisant notamment des capteurs. Si cette tâche est assumée par des opérateurs, il y a plusieurs risques majeurs, celui qu’ils se saisissent de l’opportunité pour récupérer les données et les exploiter ensuite. Il y a risque de violation des libertés individuelles si ce sont des opérateurs publics qui agissent de la sorte[7].

En effet, la bonne volonté initiale se transformerait en intrusion et en moyen de contrôle sur la vie privée. Cette possibilité a déjà fait l’objet d’une volonté de mise en application sur l’esplanade de La Défense à Paris où le géant de l’affichage publicitaire, JC Decaux, voulait installer des boîtiers afin de capter les données téléphones dans un rayon de 25 mètres. Cette initiative a déjà fait l’objet d’un refus de la part de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) puis du Conseil d’Etat[8]. Désormais, l’enjeu principal pour les collectivités n’est plus seulement de savoir se servir du numérique mais d’en assurer une réelle maîtrise et une bonne conservation des données[9].

La transition numérique dans la gouvernance territoriale, avec une mutation aussi forte et rapide, pourrait assez vite lui donner une dimension plus polémique. Le numérique passerait de transition à possible facteur de dépendance pour la décision…

 

 

                                                                                                                            Pavel REHOR

                                                                                                           Etudiant manager public à l’ISMAPP

                                                                                                    pavel.rehor@gouvernancepublique.fr

 

 

 

 

 

[1] http://www.lagazettedescommunes.com/472571/estelle-grelier-lopen-data-rapproche-laction-publique-des-citoyens/

[2] http://www.lagazettedescommunes.com/498554/nord-la-prevention-specialisee-gagne-en-visibilite-grace-a-sa-base-de-donnees-commune/

[3] http://www.magcentre.fr/126845-lagence-loiret-numerique-est-ouverte/

[4] http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/archives-publiques-les-enjeux-de-la-revolution-numerique/

[5] http://www.lagazettedescommunes.com/473033/vers-une-gestion-intelligente-du-reseau-deau-grace-au-big-data/

[6] https://www.nextinpact.com/news/101624-le-gouvernement-veut-dematerialiser-demandes-rsa.htm

[7] http://www.lagazettedescommunes.com/498769/lindispensable-anonymisation-des-donnees-personnelles-des-passants/

[8] http://www.lagazettedescommunes.com/490402/le-conseil-detat-interdit-le-tracage-des-mobiles-par-le-biais-des-panneaux-publicitaires/

[9] http://www.lagazettedescommunes.com/444084/maitriser-la-donnee-un-enjeu-central-pour-la-ville-intelligente/


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Introduite en mai 2016 par Vincent You, directeur de l’hôpital de Confolens (Charente) pour la rénovation de l’EHPAD qui y est attaché, la clause Molière s’est depuis installée dans le débat public. Pensée comme une mesure destinée à limiter le recours aux travailleurs détachés sur les chantiers publics, elle se concrétise par une clause ajoutée aux appels d’offres obligeant les travailleurs détachés non-francophones à être accompagnés d’un traducteur. Depuis la polémique grandit, ses détracteurs voyant en elle une mesure discriminatoire envers les étrangers, alors que ses soutiens y voient, eux, une normale mesure de préférence nationale visant à favoriser nos économies.

Dans les faits, c’est la plupart du temps par l’angle de la sécurité qu’est mise en place cette nouvelle mesure. Si cette clause est introduite sur les chantiers dont une collectivité est le maître d’œuvre, les travailleurs présents doivent, s’ils ne sont pas francophones, être accompagnés d’un traducteur agréé auprès des tribunaux[1]. La raison arguée est la bonne compréhension des consignes de sécurité sur les chantiers, même si selon Xavier Bertrand, Président du Conseil régional des Hauts-de-France, la mesure est « peut-être un peu tirée par les cheveux »[2].

Au-delà de la dimension politique de cette clause, se pose, devant son introduction et son application, certains obstacles de type juridiques et budgétaires.

Le risque de discrimination par les collectivités territoriales

Le premier obstacle qui se dresse sur son application est celui de la légalité. En effet, certains recours pourraient être lancés contre des collectivités l’utilisant, comme cela a déjà pu se produire dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, par la demande du Préfet de région au Conseil régional. En outre, Michel Delpuech, alors Préfet de Paris et d’Ile-de-France, avait par exemple mis en garde Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France quant à l’utilisation de telles mesures. Ce dernier prévient : « Si le Conseil régional méconnaissait ces dispositions et ces principes [de non discrimination dans les commandes publiques], je constaterais une illégalité manifeste qui me conduirait à mettre en oeuvre les voies de droit appropriées »[3]. Pour le Préfet, cette clause contrevient aux principes constitutionnels d’accès à la commande publique. Si la Région viole la loi comme il le pense, elle s’expose à un déféré préfectoral et il sera de la responsabilité du juge administratif de statuer sur la légalité de telles mesures.

Pour Vincent You, néanmoins, le risque de contentieux reste limité dans la mesure où la clause ne concerne que l’application et non l’attribution des marchés publics, une manière détournée de réaliser l’objectif de sélection des entreprises mais qui, selon certains juristes, pourrait s’avérer « payante » en cas de jugement[4].

 

La clause Molière : un enjeu aussi financier pour les collectivités

Le second obstacle réside dans le fait qu’une telle mesure demande aux collectivités concernées de vérifier que les personnels présents sur ses chantiers soient bien francophones et dans le cas où la réponse serait négative, qu’un traducteur soit présent dans les conditions prévues dans le contrat. La clause Molière pourrait donc se révéler avoir un coût important. Laurent Wauquiez, Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a par exemple choisi d’affecter cinq inspecteurs à plein temps sur cette mission de contrôle[5].

Reste maintenant à déterminer l’impact que peut avoir cette mesure sur les chantiers eux-mêmes. Si, a priori, la langue d’usage n’a pas grand rapport avec les compétences des ouvriers du bâtiment, la main d’œuvre francophone et qualifiée ne se trouve pas toujours en nombre[6]. La clause Molière pourrait donc avoir un effet néfaste sur le bon déroulement des chantiers dans la mesure où ces derniers pourraient manquer de personnels compétents, et ce au-delà de toute considération financière.

Avec un fort potentiel dissuasif pour les entreprises, la clause Molière risque de continuer pendant quelques mois à faire débat. Michel Sapin, Ministre de l’Economie et des Finances a saisi ses services pour déterminer la légalité de cette dernière, et, pour l’heure, aucun juge administratif ne s’est prononcé[7]. Toutefois, comme l’affirme Fabien Renou, rédacteur en chef du Journal Le Moniteur, il y a fort à parier qu’ « à la première censure, le dispositif tombera dans les oubliettes »[8]. L’avenir de la clause reste donc incertain, particulièrement à l’heure de la création du Code de la commande publique qui se voudrait simplificateur[9].

Alan Volant

Etudiant en gouvernance des territoires à l’Université Paris-Saclay

alan.volant@gouvernancepublique.fr

[1]http://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250271907762

[2]Ibid.

[3] http://www.lalibre.be/dernieres-depeches/afp/clause-moliere-le-prefet-d-idf-exhorte-pecresse-a-eviter-tout-risque-d-illegalite-manifeste-58d018b4cd705cd98e0fd760

[4] « Commande publique : clause Molière versus #TeamJuncker » La Semaine Juridique Edition Administrations et Collectivités n°29-33

[5] http://www.liberation.fr/futurs/2017/03/25/y-voir-plus-clair-dans-la-clause-moliere_1558102

[6] Ibid.

[7] http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/03/11/37002-20170311ARTFIG00092-bercy-saisi-pour-la-clause-moliere-imposant-le-francais-sur-les-chantiers.php

[8] http://www.lemoniteur.fr/articles/tartuffe-et-harpagon-34330668

[9] https://www.economie.gouv.fr/entreprises/marche-public-reforme


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La philanthropie s’entend étymologiquement comme « l’amour du genre humain » et se comprend comme l’exercice d’une action morale qui est motivée par l’envie de venir en aide à son prochain. Nous verrons que la philanthropie prend des formes et des usages nouveaux qui imposent aux pouvoirs publics de repenser la relation au don.

 

La philanthropie contemporaine, une expression des mutations sociales

Historiquement, les sociétés européennes – fortement christianisées – pratiquaient la charité où le désintéressement et une forme de « retour sur investissement » n’étaient pas forcément antinomiques.

Sécularisées, les sociétés modernes semblent vouloir poursuivre cette tradition du don. Et le numérique en est un accélérateur pour de nouveaux acteurs et de nouveaux groupements d’acteurs (voir infra).

De récentes études montrent que le recours à la donation à vocation philanthropique[1] a été, durant cette décennie, en constante augmentation. A titre d’illustration, en 2014 plus de 4.000 fondations ont été recensées contre un peu plus de 2.500 en 2011, soit une augmentation de près de 60%[2]. Ce constat est aussi la conséquence d’un cadre législatif favorable. Le législateur a accompagné l’action morale de la philanthropie par une contrepartie économique se traduisant le plus souvent par des avantages fiscaux[3]. Aussi, la crise économique de 2007-2008 confirme cette tendance internationale au recours à la philanthropie[4].

 

La philanthropie, une réalité internationale et mondialisée

Initiée dès le début du 20ème siècle sur le continent américain, le recours à la philanthropie moderne continue de séduire la scène internationale[5]. Les premières actions philanthropiques américaines au service de l’intérêt général trouvent leurs origines au travers des initiatives conduites par de « grandes familles » telles les Rockefeller, les Rosenwald dont la générosité était essentiellement dédiée au financement de « temple des savoirs » (les universités, les musées et les bibliothèques). Autre exemple américain, l’Université québécoise McGill est l’œuvre d’une opération philanthropique conduite dès 1937 par la fondation McConnell (du nom de son fondateur).

Un phénomène nouveau se constate : la philanthropie n’est plus une action individuelle au service d’un collectif mais celle d’un collectif vers un collectif, en atteste l’initiative prise par quarante milliardaires américains conduits par Warren Buffet et Bill Gates, qui ont annoncé leur intention de donner plus de la moitié de leur fortune à des œuvres caritatives et/ou philanthropiques. Cette initiative porte le nom de « The Giving Pledge »[6], littéralement : « l’engagement à donner ». Concrètement, il s’agit là de dizaines de milliards de dollars de dons pour de « bonnes causes ». Les enjeux sont donc loin d’être neutres, et interrogent sur l’avenir (et le contrôle) de ces initiatives ? Quels rôles et quelles places la sphère publique peut-elle et doit-elle prendre dans cette dynamique ? Une question d’autant plus d’actualité en France, à l’heure où certains candidats à l’élection présidentielle proposent la suppression (ou modification) de l’Impôt sur la Fortune (ISF), pourtant un dispositif efficace à l’encouragement aux dons.

L’esprit des temps traversé par des phénomènes de transitions/mutations conduit à soulever deux interrogations sur l’acte philanthropique :

1/      Quid de son positionnement eu égard à l’impôt ? Concurrence ou complémentarité ?

2/      Quid de son rôle au service de la participation citoyenne et composant une nouvelle gouvernance par la réaffirmation du principe de subsidiarité ?

 

 1/ La philanthropie : l’avenir de l’impôt ?

En cette période électorale, certains candidats à la Présidence de la République affichent leurs intentions de supprimer (ou modifier fortement) l’Impôt sur la fortune (ISF). Cette proposition n’est pas sans incidence sur la philanthropie à la française. Pourquoi ?

Le cadre fiscal en vigueur incite les particuliers – assujettis à l’ISF – à faire des dons à des structures agréées à cet effet. Si l’ISF venait à être supprimé, les particuliers, pourraient être freinés dans leur « générosité ». Cela tend à inquiéter les acteurs de la philanthropie, aux premiers rangs desquels les fondations dites abritées (sous l’égide de la Fondation de France ou de la Fondation du Patrimoine). Quelques chiffres permettent de mesurer les enjeux. Depuis la loi TEPA de 2007, toute personne qui fait un don peut déduire de son ISF à 75 % du montant versé, dans la limite de 50.000 euros (45.000 € en cas d’utilisation simultanée de la réduction pour don et de la réduction pour investissement dans les PME)[7]. En 2008, les dons ISF s’élevaient à 53 millions d’euros. Ils ont presque quadruplé en 2016, à hauteur de 200 millions d’euros comme le rapporte l’annexe du projet de loi de finances pour 2016[8].

Existence ou non de l’ISF, tout contribuable a la faculté de bénéficier de contreparties fiscales en cas de dons. Certes, les donateurs pourront toujours utiliser la réduction d’impôt sur le revenu, mais son effet défiscalisant est moins puissant (66 % des sommes versées avec une réduction maximale équivalente à 20 % du revenu imposable)[9]. Comme le précise, Max Thillaye du Boullay, conseiller en philanthropie à la fondation des Apprentis d’Auteuil, «  un don ISF est en moyenne quinze à vingt fois plus élevé qu’un don en réduction de l’impôt sur le revenu » [10].

L’avenir des actes philanthropiques, en France, demeure incertain. Dans ce contexte, plusieurs hypothèses peuvent être émises :

  • supprimer l’ISF en supprimant par voie de conséquence l’incitation fiscale;
  • supprimer l’ISF et orienter les anciens assujettis vers des incitations fiscales plus fortes sur le mode : « vous ne payez plus d’ISF  et vous orientez votre contribution à l’intérêt général par le don ».
  • distinguer l’Impôt (ISF) de la philanthropie, et concevoir une réelle politique de redistribution de la richesse par le don.

La dernière hypothèse comporte plusieurs avantages. En effet, comme le laisse percevoir le titre de cette partie, l’impôt peut se trouver mis en concurrence avec l’acte philanthropique car tous deux ont une dimension d’intérêt général mais de sources différentes : l’impôt est obligatoire, le don est volontaire.

Et si la complémentarité était la bonne voie ?

 

2/ Philanthropie et territoires : une forme de participation civique

Les dernières lois de finances confirment la baisse des dotations de l’Etat vers les collectivités territoriales. Ces dernières sont alors contraintes d’innover et de diversifier leurs ressources. Dans ce contexte, une des alternatives de financement trouve écho, par l’appel à la générosité civique. Voilà donc que les collectivités sont les nouveaux entrants dans le secteur de la philanthropie. Citons la Fondation de Lille, la Fondation Bordeaux Fraternelle et Solidaire, la Fondation Passions Alsace ou encore l’association pour une fondation de Corse.

D’ores et déjà, cet usage suscite des interrogations : une collectivité peut-elle recourir à la philanthropie ? Quels mécanismes juridiques en vigueur ? Ne sont-elles pas en contradiction avec les missions d’intérêt général dont elles disposent par nature ?

Encore assez inconnue du grand public, l’éligibilité des collectivités à recevoir des dons est prévue par le Code Général des Collectivités territoriales (art. L.2242-3 pour les communes[11], Art. L. 3213-6 pour les départements[12], Art. L. 4221-6 pour les régions[13]). Mais peuvent-elles pour autant conférer le régime fiscal incitatif accordé au secteur de la philanthropie tel que nous pouvons le voir par les initiatives privées ? Une réponse ministérielle[14] est venue répondre positivement et ainsi clarifier la situation. Les collectivités disposent de plusieurs réceptacles philanthropiques : la fondation territoriale et les fonds de dotation.

Parmi ces initiatives publiques, celle de la Fondation de la Ville de Cannes. Créée en février 2016 suite aux intempéries dévastatrices d’octobre 2015[15], la Fondation de la Ville de Cannes « permet aux particuliers et aux entreprises soucieux du développement harmonieux de la ville, de participer directement par un don à la réalisation de projets locaux d’intérêt général, utiles et concrets. L’engagement financier de donateurs et de mécènes permettra d’instaurer une véritable solidarité territoriale autour de l’identité à la fois locale et internationale de Cannes. »

N’étant plus considérée comme un « cas à part », il semble que cette philanthropie de proximité et territorialisée, initiée par les collectivités, se développe visant à permettre aux citoyens de s’approprier ou se réapproprier le territoire. Une vision innovante transformant le citoyen seul contributeur (par l’impôt) en acteur (par le don). C’est aussi la possibilité pour les donateurs de suivre concrètement l’état d’avancement des projets.

 

En conclusion,

La philanthropie et l’impôt sont bien deux outils distincts. Ceci ne signifie pas pour autant que l’un relève de la sphère publique (l’impôt) et que l’autre serait dépendant de la sphère privée (la philanthropie). Au contraire, se dessinent dans ce mouvement de « bonne gouvernance » des sociétés « connectées » des passerelles entre politiques publiques et initiatives civiques.

La philanthropie territoriale est-elle l’un des remèdes à la réconciliation Citoyen et Cité ? L’avenir le dira …

 

 

————-

[1] La transmission d’un bien matériel ou immatériel que consent une personne au profit d’une autre personne morale ou privée, et ce de manière désintéressée.

[2] Fondation de France. Centre Français des Fondations. «2001-2010 : + 60 % de fondations ! ». Etude sur les fonds et fondations en France [En ligne]. (2010). (Page consultée le 1 juillet 2015)

[3] Loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations

[4] Calixte, L. (2015) Don de Tim Cook: la vague de la philanthropie gagne aussi la France. Challenges, [en ligne] (Mars 2015) (Consulté le 1 juillet 2015).

[5] Olivier Zunz « La philanthropie en Amérique » (2012, Fayard)

[6] http://givingpledge.org/

[7] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=E674ACA6972F9FC1EF551F8AAB195994.tpdjo09v_3?idArticle=LEGIARTI000018619171&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=vig

[8] www.performance-publique.budget.gouv.fr/documents-budgetaires/lois-projets-lois-documents-annexes-annee/exercice-2016/projet-loi-finances-2016-jaunes-budgetaires#.WLU-ShLhBZV

[9] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000018619914&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=vig

[10] www.lemonde.fr/argent/article/2016/04/05/la-generosite-bien-ordonnee-des-redevables-de-l-isf_4896204_1657007.html

[11] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000006390468

[12] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000027574005&dateTexte=&categorieLien=id

[13] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000006392301&dateTexte=&categorieLien=cid

[14] Réponse ministérielle du 8 août 2006 (JO AN Question n°91164)

[15]  www.webtimemedias.com/article/cannes-lance-un-nouvel-outil-pour-developper-le-mecenat-20160205-57684


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Le récent record atteint par la crypto-monnaie « Bitcoin » a mis en avant la technologie qui l’abrite : la blockchain (ou chaîne de blocs). Un univers technique, particulièrement complexe, et conséquemment assez obscur. Au delà de la technicité de mise en œuvre des blockchains, c’est davantage au sens et aux objectifs qu’elle propose qu’il convient de s’intéresser.

Pour qui n’est encore ni utilisateur des usages des crypto-monnaies, ni adepte convaincu de la blockchain, le succès grandissant de ces deux termes mérite d’emblée une clarification. La crypto-monnaie, comme son nom l’indique, est « une monnaie électronique circulant sur un réseau informatique dit peer-to-peer ou pair à pair (ou décentralisée) pour valider les transactions et émettre la monnaie elle-même »[1]. Sur un autre plan, la blockchain, bien qu’elle ne réponde pas à une définition identifiée, est « une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle »[2]. Plus simplement, il faut comprendre que le premier est un outil de paiement par monnaie virtuelle à laquelle est affectée une valeur de change, alors que le second est un protocole informatique permettant de valider les transactions de ladite monnaie virtuelle. Ainsi, la crypto-monnaie n’existe pas sans la blockchain alors que l’inverse n’est pas nécessairement vrai.

En effet, l’utilisation de la technologie blockchain se diversifie et s’extrait de plus en plus du seul champ de la finance pour intégrer des activités telles que l’agriculture, le droit, et même l’enseignement.

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Blockchain : une culture numérique de la décentralisation

Les définitions précitées font ressortir deux champs sémantiques qui ont inspiré la rédaction du présent billet : « un réseau informatique décentralisé » et « sans organe central de contrôle ».

Voilà plus de 30 ans, depuis les lois de 1982, que le terme de décentralisation ne trouvait pas une application différente de celle définissant le modèle d’organisation territoriale de la République. Or, de la même manière que l’organisation administrative d’un territoire répond à une certaine architecture, celle des réseaux numériques tend à se repenser.

Mais qu’est-ce que la décentralisation dans le cadre de la blockchain ? En informatique, un système de fichiers décentralisés (ou en réseau) est un système qui permet le partage de fichiers à plusieurs personnes au travers du réseau informatique[3].

Pas très clair ? C’est normal, et c’est la raison pour laquelle les spécialistes préfèrent l’image du « grand livre ouvert sur la place publique » dans leurs explications. Ainsi la blockchain serait comme un grand livre ouvert sur une place publique sur lequel chacun vient inscrire publiquement une action (i-e : une transaction, un contrat, etc…). De fait, sans l’accord de la majorité, personne ne peut y rectifier une page déjà écrite. Mais qui détiendrait cette majorité ? C’est ici qu’intervient le sens de l’architecture décentralisée puisque chaque action est rendue pratiquement (car aujourd’hui aucun cas n’a été recensé) infalsifiable par son fonctionnement décentralisé. Avec un système centralisé, les actions sont enregistrées dans un livre détenu par un tiers (ex : google, les banques, etc…) sur lequel repose la confiance des utilisateurs. Or à travers le système décentralisé, le livre est détenu par l’ensemble des utilisateurs, ce qui permet de se passer du tiers chargé habituellement de la validation et de l’historique des transactions.

Tout est donc question de confiance !

Le modèle décentralisé du protocole blockchain repose donc sur l’absence d’un élément central comme élément régulateur. Cette conception offre ainsi à une communauté de membres d’une blockchain la possibilité de s’affranchir d’une autorité centrale pour certifier l’exactitude d’une action.

Par transposition, la blockchain (à son apogée) rendrait envisageable de construire une confiance autrement qu’à partir des lois ou de la force d’un Etat central ou encore d’une collectivité. La particularité de cette technologie est en effet de sortir des schémas verticaux pour une totale horizontalité. Il ne s’agit pas là de remettre en question la fonction politique dans la gouvernance d’un territoire, mais au contraire de s’interroger sur la façon dont la sphère publique pourrait s’imprégner d’une telle technologie dans la rénovation de ses relations et ses services avec les administrés.

 

Blockchain et pouvoirs publics

Cette technologie en est encore à ses balbutiements mais cela n’empêche pas certains acteurs économiques à s’y intéresser de près. Il s’agit notamment de ces fameux « tiers de confiance » tels les banques ou encore certains professionnels du droit. Or, dans bien des cas, les acteurs publics agissent aussi comme tiers et pourraient, selon les évolutions prises par cette technologie, être contraints de s’y adapter.

Malgré les défis restant à relever pour le déploiement simplifié et universel d’une telle technologie, la sphère publique perçoit les évolutions prévisibles et, les expérimente déjà.

A titre d’exemples :

  • En France

Le 29 mars 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a annoncé, à l’occasion des Assises du financement participatif, une adaptation de la réglementation financière afin de permettre l’expérimentation de blockchains dédiées au marché des bons de caisse.

Au cours de cette conférence, Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé la création d’une nouvelle catégorie de bons de caisse adapté au financement participatif : les minibons. Ceux-ci ont la particularité suivante[4]: « Sans préjudice des dispositions de l’article L. 223-4 du Code monétaire et financier, l’émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat. »

La porte à l’utilisation de la blockchain est entre-ouverte.

  • Royaume-Uni : Le gouvernement et sa division des Services Gouvernementaux Numériques, GDS (Government Digital Services), ont exploré la façon d’utiliser la technologie de la blockchain en tant que registre numérique. Les registres gouvernementaux traitent des données telles que des renseignements sur le cadastre, des données d’entreprise et des informations d’immatriculation de véhicules. Les données contenues dans ces registres peuvent être sensibles, et ont besoin d’avoir des niveaux élevés d’intégrité, car beaucoup concernent des entités juridiques. Afin de maintenir cette intégrité, les GDS envisagent d’utiliser la blockchain comme possible protocole pour ces registres. Le Bureau du Gouvernement pour la Science britannique a publié un rapport détaillé intitulé « La technologie des registres distribués : au-delà de la chaîne de blocs » (“Distributed Ledger Technology: beyond blockchain”)[5].
  • États-Unis : L’administration a accordé 3 millions de dollars aux chercheurs pour examiner les utilisations de crypto-monnaies, y compris leur application aux « contrats intelligents » (smart contracts). Les contrats intelligents transforment un contrat standard en un programme exécutable sur la base de règles qui, une fois appliquées, exécutent ensuite les différentes dispositions du contrat tout au long de son cycle de vie. Le gouvernement souhaitait connaître comment les contrats intelligents pouvaient modifier la façon dont se déroulent les transferts financiers (tels que l’impôt, d’autres financements). En effet, chaque séquence est enregistrée et horodatée dans la blockchain, ce qui lui assure sa propre intégrité, le cryptage la rendant inviolable.
  • Singapour : Le gouvernement et l’Autorité Monétaire de Singapour (MAS), ont investit près de 225 millions de dollars en « FinTech » (technologie financière) et en innovation, dont une partie concerne l’utilisation de la technologie de la blockchain pour un stockage sécurisé des données[6].
  • Tunisie : Le gouvernement utilise la technologie de la blockchain pour améliorer l’accessibilité aux services financiers pour tous les citoyens[7].
  • Estonie : un programme « e-residence » a été établi pour permettre à quiconque dans le monde entier de demander à devenir e-résident de l’Estonie (pour y implanter une entreprise, par exemple). Les résidents obtiennent leur carte d’identité numérique avec une clé cryptographique afin de signer des documents numériques en toute sécurité, le tout en supprimant la nécessité d’une signature manuelle sur les formulaires gouvernementaux. De cette façon, les citoyens estoniens à part entière peuvent voter et voir quelles sont les données détenues par le gouvernement à leur sujet ; qui y a accédé et pour quelles raisons[8].

 

La blockchain : un protocole informatique, une culture décentralisée et fondée sur la confiance entre les parties prenantes

En conclusion, le concept de cette technologie distribuée ou décentralisée représente un possible bouleversement de nos usages personnels, professionnels et même citoyen. Toutefois, l’engouement médiatique incontestable, décuplé par le succès (spéculatif) du Bitcoin, a créé une forme de « buzz » autour de la blockchain qu’il convient de nuancer. En effet, la technologie blockchain a encore besoin de temps : pour se simplifier, pour se déployer, pour créer ses propres usages et écosystèmes.

En revanche, si le temps d’une émancipation globalisée de la blockchain n’a pas encore sonné, il convient de retenir que les phases expérimentales sont lancées et pour reprendre une citation de Bill Gates : « On surestime toujours le changement à venir dans les deux ans, et on sous-estime le changement des dix prochaines années. Ne vous laissez pas bercer par l’inaction»[9].

 

Alain-Joseph Poulet
Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crypto-monnaie

[2] https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_fichiers_distribu%C3%A9

[4]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5391A6236F27AAE736F68CF13B0C1A5F.tpdila11v_2?cidTexte=JORFTEXT000032465520&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000032465291ggh

[5] https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/492972/gs-16-1-distributed-ledger-technology.pdf

[6] http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2016/11/16/97002-20161116FILWWW00119-singapour-va-lancer-une-plateforme-blockchain.php

[7] http://www.usine-digitale.fr/article/la-tunisie-pionniere-sur-la-blockchain.N373061

[8] http://convention-s.fr/wp-content/uploads/2016/12/EN-ESTONIE-_-BLOCKCHAIN-EN-PASSE-DE-REMPLACER-LES-NOTAIRES-_.pdf

[9] Gates, B., Myhrvold, N., & Rinearson, P., 1996. The road ahead (2nd ed.). New York ; London: Penguin Books.


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