Éric Woerth veut plus « plus d’efficacité démocratique »
Plusieurs idées principales issues du rapport d’Éric Woerth remis à Emmanuel Macron pour réviser la décentralisation en France afin d’améliorer l’efficacité démocratique. Le député de l’Oise suggère de réintroduire le cumul des mandats de député et de maire pour renforcer le lien entre les politiques nationales et locales. Il propose la création de conseilleurs territoriaux, un élu unique pour représenter à la fois la région et le département, une fonction qui avait été supprimée en 2024.
Il recommande de dissoudre la métropole du Grand Paris au profit de la région Île-de-France pour une meilleure gouvernance locale. Woerth insiste sur la nécessité de réaffirmer les rôles spécifiques des communes, départements et régions pour éviter la dilution des responsabilités. La parité et réduction du nombre de conseillers municipaux. Il souhaite imposer la parité homme-femme dans tous les conseils municipaux et réduire de 20% le nombre de conseillers dans les petites communes. Il propose également de modifier le mode d’élection des conseils municipaux à Paris, Lyon et Marseille pour résoudre les problèmes démocratiques. Une réorganisation des institutions locales en suggérant de supprimer la clause de compétence général du Grand Lyon et de réviser la gouvernance de la métropole d’Aix-Marseille-Provence.
Woerth préconise d’accorder aux intercommunalités la responsabilité de certaines politiques comme le logement et le sport. Les régions devraient se concentrer sur la transition écologique, l’action économique et l’enseignement supérieur, favorisant un rôle renforcé des régions. Il propose d’attribuer à chaque niveau de collectivité une part d’impôt national lié à ses compétences pour une meilleure autonomie financière en vue du financement des collectivités. Enfin, Woerth souhaite renforcer les pouvoirs des élus locaux en matière de gestion des ressources humaines dans la fonction publique territoriale.
Ces propositions visent à simplifier et à rendre plus lisible l’organisation territoriale française en clarifiant les compétences et responsabilités à chaque niveau de collectivité pour restaurer la confiance des citoyens dans les institutions locales.
Pour aller plus loin : Lire le rapport
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Nouvelle-Calédonie : un « caillou » dans le Pacifique
Le statut spécifique de la Nouvelle-Calédonie est issu d’un long processus historique. Les compétences sont réparties entre l’État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes. Après trois référendums d’autodétermination qui ont rejeté l’accès à la pleine souveraineté, l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est toujours interrogé.
Dès 1999, Gérard Logié, membre du comité de réflexion pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, explorait dans nos colonnes les diverses étapes et perspectives vers la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie à la suite des « accords de Matignon ». [1]
Des accords de 1988 au référendum de 2021
Les accords de Matignon-Oudinot, signés en 1988, prévoyaient une période de dix ans de développement économique, social, culturel et institutionnel avant la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1998.
Le 5 mai 1998, un nouvel accord, l’accord de Nouméa, est signé entre l’État, les indépendantistes et les loyalistes. Il poursuit la revalorisation de la culture kanak (statut coutumier, langues…), crée de nouvelles institutions et prévoit un processus de transfert progressif et irréversible de compétences à la Nouvelle-Calédonie, dans l’attente d’un référendum d’autodétermination reporté au plus tard, à 2018.
À la suite de l’accord de Nouméa, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie[2] est promulguée (le titre XIII de la Constitution [3]est désormais consacré à la Nouvelle-Calédonie). La loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie précise son statut.
Entre 2018 et 2021, trois référendums d’autodétermination sont organisés en Nouvelle-Calédonie :
- Un premier référendum d’autodétermination est organisé le 4 novembre 2018. La victoire du « non » ouvre la voie d’un nouveau référendum, car la loi de mars 1999 prévoit jusqu’à trois votes en cas de victoire du « non ».
- Un deuxième référendum, organisé le 4 octobre 2020, donne à nouveau la victoire au « non ». Toutefois, le score est plus serré : alors que l’écart était supérieur à 13 points en 2018 (56,7% pour le non et 43,3% pour le oui), il est de moins de 7 points en 2020 (53,36% pour le non et 46,74% pour le oui). Le scrutin a mobilisé 85,69% des électeurs en 2020, contre 80,63% en 2018.
- Le troisième et dernier référendum est organisé le 12 décembre 2021. Le « non » l’emporte avec 96,50% des voix. La participation à ce scrutin est de 43,87%, les indépendantistes ayant appelé au boycott.
Institutions et citoyenneté
L’État y est représenté par le haut-commissaire de la République.
La Nouvelle-Calédonie est divisée en trois provinces : la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté. Les provinces communes sont des collectivités territoriales. Chaque province possède une assemblée délibérante et dispose de représentant au Congrès. La loi reconnaît également des aires coutumières (subdivisions spéciales, parallèles aux subdivisions administratives de la Nouvelle-Calédonie, créées par la loi organique de mars 1999).
La loi institue une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Pour pouvoir voter aux élections des assemblées provinciales et du Congrès, il faut justifier d’au moins dix ans de résidence.
Les distorsions à l’origine de la restriction du corps électoral
Au départ d’ordre politique et démographique, ces distorsions apparaissent comme la manifestation du déséquilibre entre les composantes de la population et les enjeux politiques du pays. Sur le plan démographique, depuis la fin des années 1950, la population kanak est devenue minoritaire. Les raisons de cette évolution sont liées à une immigration voulue par la France, puis favorisée par le « boom du nickel » de la fin des années 1960. À l’arrivée de nombreuses familles pieds-noirs après l’indépendance de l’Algérie s’ajouteront des flux en provenance de la zone Pacifique et notamment de Wallis-et-Futuna. C’est ainsi que la population kanak est passée de 51,1% en 1056 à 46% en 1969. Le dernier recensement, prenant en compte les différentes ethnies, effectué en 1996, l’évalue à 44,1%.[4]
Sur le plan politique, des partis indépendantistes, comme le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) créé en 1984, vont se montrer hostiles à une telle immigration. Les masses de population étant numériquement assez faibles, le combat des indépendantistes devient plus difficile dès l’instant où les Kanak ne sont plus majoritaires, et la difficulté augmente mécaniquement à mesure de l’amplification du phénomène d’immigration.
Ces distorsions vont donc se trouver directement liées à la question de l’indépendance. Elles vont alors conduire les indépendantistes à revendiquer et obtenir la restriction du corps électoral dans le cadre d’un scrutin d’autodétermination. Toutefois, ce combat logiquement inscrit dans le schéma de l’accession à la pleine souveraineté, issu des accords de Matignon de 1988, aboutira, d’une manière plus originale, à l’acceptation d’une autre revendication : celle de l’extension de ce principe aux élections locales, plutôt inscrite ici dans une logique autonomiste, dans le cadre de l’accord de Nouméa de 1998.
La décentralisation issue de l’accord de Nouméa
La période allant de 1999 à ce jour a été marquée par la reterritorialisation de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci bénéficiant de la primauté au détriment des provinces. C’est en tout cas l’impression que l’on retire de la lecture de la loi organique du 19 mars 1999 qui traite de la Nouvelle-Calédonie avant les provinces et qui ne mentionne pas, à son article 2, les assemblées de province parmi les institutions de la Nouvelle-Calédonie, en méconnaissance du point 2 de l’accord de Nouméa, ce qui va conduire le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°99-410 DC du 15 mars 1999, à combler cette lacune.
Ce sont ensuite les transferts de compétence de l’État qui profitent principalement à la Nouvelle-Calédonie (droit civil, état civil, droit commercial, sécurité civile, enseignement des premier et second degrés…) avec un congrès formé d’une partie des membres des assemblées de province, élus cette fois-ci au suffrage universel restreint[5]. C’est la possibilité pour le congrès d’adopter des lois du pays ayant pleinement valeur législative et ce, même dans des matières de la compétence des provinces (régime du droit domanial, Code minier, régime des terres coutumières, fonction publique…). C’est la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer des impositions non seulement à son propre profit et à celui des provinces et communes, mais aussi au profit des groupements intercommunaux.
C’est la création d’un véritable exécutif pour la Nouvelle-Calédonie, élu par le congrès à la proportionnelle. Toutefois, cette reterritorialisation n’a pas donné les effets escomptés puisque, de l’avis général, le consensus n’a pas fonctionné : 17 gouvernements en vingt ans, dont certains ont mis plusieurs mois pour entrer en fonction.
Après les trois consultations ayant toutes conclues au refus de l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et malgré une contestation de la troisième sur un plan plus politique que juridique[6], la situation qui se présente est clairement fixée, dans son principe, par le point 5 des orientations de l’Accord de Nouméa qui ont valeur constitutionnelle : si la réponse est encore négative à l’issue des trois consultations, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique, mise en place par l’accord de 1998, restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».
Il revient donc aux partenaires politiques, sans remettre en cause le droit à l’indépendance, de discuter de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en envisageant, le cas échéant, une sorte de fédéralisme à la calédonienne à l’intérieur de la France et peut-être même à l’intérieur de la Nouvelle-Calédonie.
Une réforme constitutionnelle met le feu aux poudres
La commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté mardi 7 mai 2024 le projet de loi modifiant le corps électoral pour les élections provinciales de fin 2024. Le texte a été soumis au vote en séance le lundi 13 mai 2024. Les députés ont adopté le texte, contesté par les indépendantistes, qui élargit le corps électoral propre au scrutin provincial de la Nouvelle-Calédonie. Faute d’accord entre indépendantistes et loyalistes, le Congrès se réunira « avant la fin juin » pour voter la réforme, a déclaré, Emmanuel Macron, le mercredi 15 mai 2024.
Depuis cette dernière date, la Nouvelle-Calédonie traverse une période troubles marqués par des manifestations violentes et des émeutes. La situation a débuté avec des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, entraînant des dégâts importants et des pertes humaines. A cette date, sept personnes dont deux gendarmes ont perdu la vie et plusieurs ont été grièvement blessées.
Les violences ont été déclenchées par des tensions autour de questions politiques et sociales, notamment liées aux réformes du corps électoral et aux revendications indépendantistes. Ces tensions se sont exacerbées au fil des jours, menant à des scènes de chaos avec des pillages et des incendies dans certaines régions, notamment à Nouméa.
En réponse à cette crise, le Président Emmanuel Macron a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale et a exprimé sa solidarité avec les Calédoniens. Il a insisté sur la nécessité de rétablir l’ordre républicain et a proposé de relancer le dialogue politique en invitant les représentants calédoniens à Paris pour des discussions. Un été d’urgence a été déclaré pour renforcer la sécurité et contrôler les violences. Il a été levé après 12 jours alors que le calme revient progressivement sur l’archipel.
En parallèle, le gouvernement français a déployé des forces supplémentaires pour soutenir les efforts de maintien de l’ordre sur le territoire. La situation reste tendue, et les autorités continuent à travailler à un apaisement durable des tensions.
Pierre-Nicolas KRIMIANIS
Bibliographie :
Clinchamps, Nicolas. « Distorsions et corps électoraux en Nouvelle-Calédonie ». Pouvoirs 127, no 4 (2008): 151‑65. https://doi.org/10.3917/pouv.127.0151.
Franceinfo. « Nouvelle-Calédonie : l’état d’urgence levé après douze jours, le calme revient progressivement sur l’archipel », 27 mai 2024. https://www.francetvinfo.fr/france/nouvelle-caledonie/nouvelle-caledonie-l-etat-d-urgence-sera-leve-mardi-matin-dans-l-archipel-annonce-l-elysee_6568016.html.
Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. « Un peu d’histoire », 4 avril 2016. https://gouv.nc/gouvernement-et-institutions/un-peu-d-histoire.
ina.fr. « La spécificité des électeurs calédoniens | INA ». Consulté le 27 mai 2024. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/nouvelle-caledonie-elections-provinciales-corps-electoral-accord-de-noumea-electeurs.
« La décentralisation et l’outre-mer | Conseil constitutionnel ». Consulté le 28 mai 2024. https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-decentralisation-et-l-outre-mer.
Le Monde.fr. « Nouvelle-Calédonie : l’Assemblée nationale vote la réforme constitutionnelle, après une nuit de tensions sur l’archipel ». 15 mai 2024. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/15/nouvelle-caledonie-l-assemblee-nationale-vote-la-reforme-constitutionnelle-apres-une-nuit-de-tensions-sur-l-ile_6233275_823448.html.
« Le statut de la Nouvelle-Calédonie| vie-publique.fr », 6 février 2023. https://www.vie-publique.fr/fiches/20236-le-statut-de-la-nouvelle-caledonie.
[1] LOGIE, Gérard. « Nouvelle-Calédonie : les chemins de la souveraineté ». Pouvoirs Locaux. Pouvoirs Locaux, numéro 41, juin 1999. https://www.revuepouvoirslocaux.fr/fr/article/nouvelle-caledonie-les-chemins-de-la-souverainete-1371.
[2] « Les lois constitutionnelles sur la Nouvelle-Calédonie | vie-publique.fr », 30 juillet 2019. https://www.vie-publique.fr/eclairage/268328-les-lois-constitutionnelles-sur-la-nouvelle-caledonie.
[3] Constitution du 4 octobre 1958 (s. d.). Consulté le 29 mai 2024.
[4] Alain Christnacht, La Nouvelle-Calédonie, La Documentation française, 2004, p.29.
[5] En 2007 et comme le réclamaient les partis indépendantistes, le constituant a désavoué le Conseil constitutionnel qui avait considéré, en 1999, que la condition de dix ans de résidence conduisait à un corps électoral glissant.
[6] Par décision du 3 juin 2022, le Conseil d’État a rejeté les protestations dirigées contre les résultats de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.
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Ce que nous inspire l’AFD de 200 euros
Le nouveau Premier Ministre, lors de son discours de politique générale[1], s’est montré offensif en réaffirmant l’autorité républicaine.
Durant l’été, l’actualité s’est faite l’écho de plusieurs faits graves (Saint-Ouen, Saint Denis, Nice et Grenoble) sur fond d’occupation de l’espace par des bandes rivales notamment liées au contrôle du trafic de drogue.
C’est à Nice, précisément, que le 25 juillet dernier, le Premier Ministre a fait l’annonce de la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros.
Avant tout, reconnaissons que cette AFD — si elle est suivie et généralisée par le Parquet — permettra aux policiers d’éviter des procédures fastidieuses, aux effets limités qui les mobilisent au détriment de l’efficacité de l’action. Les principaux syndicats de police lui ont réservé un accueil assez bienveillant, reconnaissant que cette mesure constitue un gain de temps, leur permettant d’être plus efficace sur le terrain.
Mais l’est-elle pour l’autorité de l’État ? Sans doute trop tôt pour le dire : une évaluation devra être faite à courte, moyenne et plus longue échéance.
Tant que nous continuerons à minorer les incidences sur la santé publique de la consommation de stupéfiants y compris ceux qualifiés par démagogie de « drogues douces » voire d’acte récréatif, nous ne lutterons pas efficacement contre les trafics.
Pendant le confinement, le non-respect de cette disposition permettait aux forces de l’ordre d’intervenir et de sanctionner l’occupation abusive de l’espace public.[2] Nous pensons que pour être efficace, l’AFD de 200 euros pour consommation de stupéfiants doit se doubler d’une AFD pour occupation illégale de l’espace public, ainsi les forces de l’ordre tiendraient les deux bouts de la chaine répressive.
Nous pensons par ailleurs que si l’objectif est de frapper le consommateur au portefeuille, une amende forfaire délictuelle de 200 euros n’est pas significative, il faudrait doubler l’amende.
Nous pensons également qu’il faut que la manne financière provenant de l’AFD ne soit pas noyée dans le budget général de l’État mais fléchée et répartie comme suit :
– pour moitié (50%) dans des campagnes nationales de sensibilisation aux risques liés à la consommation régulière de stupéfiants.
– la seconde moitié restante doit venir sous la forme d’une dotation d’équipement pour les forces de sécurité.
Enfin, l’État — qui veut faire de la lutte contre « l’ensauvagement de la société » sa priorité — ne doit pas tomber dans le piège de la dépénalisation, d’autant moins s’il veut reconquérir les fameux territoires perdus de la République[3]. Pour se faire et selon une approche subsidiariste, l’opinion publique doit elle-même s’emparer de cette volonté et les représentants de l’État l’incarner au travers de deux vertus : la force et la tempérance pour un retour de la confiance. Cédric GRUNENWALD[4]
[1] Ramenée à 150 euros si elle est acquittée dans les 15 jours ou majorée à 450 euros en cas de retard de paiement
[2] Contravention de 135 euros. Art L3136-1 du code de santé publique
[3] L’exemple de Saint Ouen en Seine Saint Denis où des habitants ont passé un accord avec des dealers pour qu’ils assurent la tranquillité publique montre la faillite de notre système républicain.
[4] Associé gérant du programme ForTemps, cabinet qui développe ses activités autour de l’équation Sécurité = Force & Tempérance.
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Marchés publics des collectivités territoriales, quel avenir pour la clause Molière ?
Introduite en mai 2016 par Vincent You, directeur de l’hôpital de Confolens (Charente) pour la rénovation de l’EHPAD qui y est attaché, la clause Molière s’est depuis installée dans le débat public. Pensée comme une mesure destinée à limiter le recours aux travailleurs détachés sur les chantiers publics, elle se concrétise par une clause ajoutée aux appels d’offres obligeant les travailleurs détachés non-francophones à être accompagnés d’un traducteur. Depuis la polémique grandit, ses détracteurs voyant en elle une mesure discriminatoire envers les étrangers, alors que ses soutiens y voient, eux, une normale mesure de préférence nationale visant à favoriser nos économies.
Dans les faits, c’est la plupart du temps par l’angle de la sécurité qu’est mise en place cette nouvelle mesure. Si cette clause est introduite sur les chantiers dont une collectivité est le maître d’œuvre, les travailleurs présents doivent, s’ils ne sont pas francophones, être accompagnés d’un traducteur agréé auprès des tribunaux[1]. La raison arguée est la bonne compréhension des consignes de sécurité sur les chantiers, même si selon Xavier Bertrand, Président du Conseil régional des Hauts-de-France, la mesure est « peut-être un peu tirée par les cheveux »[2].
Au-delà de la dimension politique de cette clause, se pose, devant son introduction et son application, certains obstacles de type juridiques et budgétaires.
Le risque de discrimination par les collectivités territoriales
Le premier obstacle qui se dresse sur son application est celui de la légalité. En effet, certains recours pourraient être lancés contre des collectivités l’utilisant, comme cela a déjà pu se produire dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, par la demande du Préfet de région au Conseil régional. En outre, Michel Delpuech, alors Préfet de Paris et d’Ile-de-France, avait par exemple mis en garde Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France quant à l’utilisation de telles mesures. Ce dernier prévient : « Si le Conseil régional méconnaissait ces dispositions et ces principes [de non discrimination dans les commandes publiques], je constaterais une illégalité manifeste qui me conduirait à mettre en oeuvre les voies de droit appropriées »[3]. Pour le Préfet, cette clause contrevient aux principes constitutionnels d’accès à la commande publique. Si la Région viole la loi comme il le pense, elle s’expose à un déféré préfectoral et il sera de la responsabilité du juge administratif de statuer sur la légalité de telles mesures.
Pour Vincent You, néanmoins, le risque de contentieux reste limité dans la mesure où la clause ne concerne que l’application et non l’attribution des marchés publics, une manière détournée de réaliser l’objectif de sélection des entreprises mais qui, selon certains juristes, pourrait s’avérer « payante » en cas de jugement[4].
La clause Molière : un enjeu aussi financier pour les collectivités
Le second obstacle réside dans le fait qu’une telle mesure demande aux collectivités concernées de vérifier que les personnels présents sur ses chantiers soient bien francophones et dans le cas où la réponse serait négative, qu’un traducteur soit présent dans les conditions prévues dans le contrat. La clause Molière pourrait donc se révéler avoir un coût important. Laurent Wauquiez, Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a par exemple choisi d’affecter cinq inspecteurs à plein temps sur cette mission de contrôle[5].
Reste maintenant à déterminer l’impact que peut avoir cette mesure sur les chantiers eux-mêmes. Si, a priori, la langue d’usage n’a pas grand rapport avec les compétences des ouvriers du bâtiment, la main d’œuvre francophone et qualifiée ne se trouve pas toujours en nombre[6]. La clause Molière pourrait donc avoir un effet néfaste sur le bon déroulement des chantiers dans la mesure où ces derniers pourraient manquer de personnels compétents, et ce au-delà de toute considération financière.
Avec un fort potentiel dissuasif pour les entreprises, la clause Molière risque de continuer pendant quelques mois à faire débat. Michel Sapin, Ministre de l’Economie et des Finances a saisi ses services pour déterminer la légalité de cette dernière, et, pour l’heure, aucun juge administratif ne s’est prononcé[7]. Toutefois, comme l’affirme Fabien Renou, rédacteur en chef du Journal Le Moniteur, il y a fort à parier qu’ « à la première censure, le dispositif tombera dans les oubliettes »[8]. L’avenir de la clause reste donc incertain, particulièrement à l’heure de la création du Code de la commande publique qui se voudrait simplificateur[9].
Alan Volant
Etudiant en gouvernance des territoires à l’Université Paris-Saclay
alan.volant@gouvernancepublique.fr
[1]http://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250271907762
[2]Ibid.
[3] http://www.lalibre.be/dernieres-depeches/afp/clause-moliere-le-prefet-d-idf-exhorte-pecresse-a-eviter-tout-risque-d-illegalite-manifeste-58d018b4cd705cd98e0fd760
[4] « Commande publique : clause Molière versus #TeamJuncker » La Semaine Juridique Edition Administrations et Collectivités n°29-33
[5] http://www.liberation.fr/futurs/2017/03/25/y-voir-plus-clair-dans-la-clause-moliere_1558102
[6] Ibid.
[7] http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/03/11/37002-20170311ARTFIG00092-bercy-saisi-pour-la-clause-moliere-imposant-le-francais-sur-les-chantiers.php
[8] http://www.lemoniteur.fr/articles/tartuffe-et-harpagon-34330668
[9] https://www.economie.gouv.fr/entreprises/marche-public-reforme
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Philanthropie et territoires
La philanthropie s’entend étymologiquement comme « l’amour du genre humain » et se comprend comme l’exercice d’une action morale qui est motivée par l’envie de venir en aide à son prochain. Nous verrons que la philanthropie prend des formes et des usages nouveaux qui imposent aux pouvoirs publics de repenser la relation au don.
La philanthropie contemporaine, une expression des mutations sociales
Historiquement, les sociétés européennes – fortement christianisées – pratiquaient la charité où le désintéressement et une forme de « retour sur investissement » n’étaient pas forcément antinomiques.
Sécularisées, les sociétés modernes semblent vouloir poursuivre cette tradition du don. Et le numérique en est un accélérateur pour de nouveaux acteurs et de nouveaux groupements d’acteurs (voir infra).
De récentes études montrent que le recours à la donation à vocation philanthropique[1] a été, durant cette décennie, en constante augmentation. A titre d’illustration, en 2014 plus de 4.000 fondations ont été recensées contre un peu plus de 2.500 en 2011, soit une augmentation de près de 60%[2]. Ce constat est aussi la conséquence d’un cadre législatif favorable. Le législateur a accompagné l’action morale de la philanthropie par une contrepartie économique se traduisant le plus souvent par des avantages fiscaux[3]. Aussi, la crise économique de 2007-2008 confirme cette tendance internationale au recours à la philanthropie[4].
La philanthropie, une réalité internationale et mondialisée
Initiée dès le début du 20ème siècle sur le continent américain, le recours à la philanthropie moderne continue de séduire la scène internationale[5]. Les premières actions philanthropiques américaines au service de l’intérêt général trouvent leurs origines au travers des initiatives conduites par de « grandes familles » telles les Rockefeller, les Rosenwald dont la générosité était essentiellement dédiée au financement de « temple des savoirs » (les universités, les musées et les bibliothèques). Autre exemple américain, l’Université québécoise McGill est l’œuvre d’une opération philanthropique conduite dès 1937 par la fondation McConnell (du nom de son fondateur).
Un phénomène nouveau se constate : la philanthropie n’est plus une action individuelle au service d’un collectif mais celle d’un collectif vers un collectif, en atteste l’initiative prise par quarante milliardaires américains conduits par Warren Buffet et Bill Gates, qui ont annoncé leur intention de donner plus de la moitié de leur fortune à des œuvres caritatives et/ou philanthropiques. Cette initiative porte le nom de « The Giving Pledge »[6], littéralement : « l’engagement à donner ». Concrètement, il s’agit là de dizaines de milliards de dollars de dons pour de « bonnes causes ». Les enjeux sont donc loin d’être neutres, et interrogent sur l’avenir (et le contrôle) de ces initiatives ? Quels rôles et quelles places la sphère publique peut-elle et doit-elle prendre dans cette dynamique ? Une question d’autant plus d’actualité en France, à l’heure où certains candidats à l’élection présidentielle proposent la suppression (ou modification) de l’Impôt sur la Fortune (ISF), pourtant un dispositif efficace à l’encouragement aux dons.
L’esprit des temps traversé par des phénomènes de transitions/mutations conduit à soulever deux interrogations sur l’acte philanthropique :
1/ Quid de son positionnement eu égard à l’impôt ? Concurrence ou complémentarité ?
2/ Quid de son rôle au service de la participation citoyenne et composant une nouvelle gouvernance par la réaffirmation du principe de subsidiarité ?
1/ La philanthropie : l’avenir de l’impôt ?
En cette période électorale, certains candidats à la Présidence de la République affichent leurs intentions de supprimer (ou modifier fortement) l’Impôt sur la fortune (ISF). Cette proposition n’est pas sans incidence sur la philanthropie à la française. Pourquoi ?
Le cadre fiscal en vigueur incite les particuliers – assujettis à l’ISF – à faire des dons à des structures agréées à cet effet. Si l’ISF venait à être supprimé, les particuliers, pourraient être freinés dans leur « générosité ». Cela tend à inquiéter les acteurs de la philanthropie, aux premiers rangs desquels les fondations dites abritées (sous l’égide de la Fondation de France ou de la Fondation du Patrimoine). Quelques chiffres permettent de mesurer les enjeux. Depuis la loi TEPA de 2007, toute personne qui fait un don peut déduire de son ISF à 75 % du montant versé, dans la limite de 50.000 euros (45.000 € en cas d’utilisation simultanée de la réduction pour don et de la réduction pour investissement dans les PME)[7]. En 2008, les dons ISF s’élevaient à 53 millions d’euros. Ils ont presque quadruplé en 2016, à hauteur de 200 millions d’euros comme le rapporte l’annexe du projet de loi de finances pour 2016[8].
Existence ou non de l’ISF, tout contribuable a la faculté de bénéficier de contreparties fiscales en cas de dons. Certes, les donateurs pourront toujours utiliser la réduction d’impôt sur le revenu, mais son effet défiscalisant est moins puissant (66 % des sommes versées avec une réduction maximale équivalente à 20 % du revenu imposable)[9]. Comme le précise, Max Thillaye du Boullay, conseiller en philanthropie à la fondation des Apprentis d’Auteuil, « un don ISF est en moyenne quinze à vingt fois plus élevé qu’un don en réduction de l’impôt sur le revenu » [10].
L’avenir des actes philanthropiques, en France, demeure incertain. Dans ce contexte, plusieurs hypothèses peuvent être émises :
- supprimer l’ISF en supprimant par voie de conséquence l’incitation fiscale;
- supprimer l’ISF et orienter les anciens assujettis vers des incitations fiscales plus fortes sur le mode : « vous ne payez plus d’ISF et vous orientez votre contribution à l’intérêt général par le don ».
- distinguer l’Impôt (ISF) de la philanthropie, et concevoir une réelle politique de redistribution de la richesse par le don.
La dernière hypothèse comporte plusieurs avantages. En effet, comme le laisse percevoir le titre de cette partie, l’impôt peut se trouver mis en concurrence avec l’acte philanthropique car tous deux ont une dimension d’intérêt général mais de sources différentes : l’impôt est obligatoire, le don est volontaire.
Et si la complémentarité était la bonne voie ?
2/ Philanthropie et territoires : une forme de participation civique
Les dernières lois de finances confirment la baisse des dotations de l’Etat vers les collectivités territoriales. Ces dernières sont alors contraintes d’innover et de diversifier leurs ressources. Dans ce contexte, une des alternatives de financement trouve écho, par l’appel à la générosité civique. Voilà donc que les collectivités sont les nouveaux entrants dans le secteur de la philanthropie. Citons la Fondation de Lille, la Fondation Bordeaux Fraternelle et Solidaire, la Fondation Passions Alsace ou encore l’association pour une fondation de Corse.
D’ores et déjà, cet usage suscite des interrogations : une collectivité peut-elle recourir à la philanthropie ? Quels mécanismes juridiques en vigueur ? Ne sont-elles pas en contradiction avec les missions d’intérêt général dont elles disposent par nature ?
Encore assez inconnue du grand public, l’éligibilité des collectivités à recevoir des dons est prévue par le Code Général des Collectivités territoriales (art. L.2242-3 pour les communes[11], Art. L. 3213-6 pour les départements[12], Art. L. 4221-6 pour les régions[13]). Mais peuvent-elles pour autant conférer le régime fiscal incitatif accordé au secteur de la philanthropie tel que nous pouvons le voir par les initiatives privées ? Une réponse ministérielle[14] est venue répondre positivement et ainsi clarifier la situation. Les collectivités disposent de plusieurs réceptacles philanthropiques : la fondation territoriale et les fonds de dotation.
Parmi ces initiatives publiques, celle de la Fondation de la Ville de Cannes. Créée en février 2016 suite aux intempéries dévastatrices d’octobre 2015[15], la Fondation de la Ville de Cannes « permet aux particuliers et aux entreprises soucieux du développement harmonieux de la ville, de participer directement par un don à la réalisation de projets locaux d’intérêt général, utiles et concrets. L’engagement financier de donateurs et de mécènes permettra d’instaurer une véritable solidarité territoriale autour de l’identité à la fois locale et internationale de Cannes. »
N’étant plus considérée comme un « cas à part », il semble que cette philanthropie de proximité et territorialisée, initiée par les collectivités, se développe visant à permettre aux citoyens de s’approprier ou se réapproprier le territoire. Une vision innovante transformant le citoyen seul contributeur (par l’impôt) en acteur (par le don). C’est aussi la possibilité pour les donateurs de suivre concrètement l’état d’avancement des projets.
En conclusion,
La philanthropie et l’impôt sont bien deux outils distincts. Ceci ne signifie pas pour autant que l’un relève de la sphère publique (l’impôt) et que l’autre serait dépendant de la sphère privée (la philanthropie). Au contraire, se dessinent dans ce mouvement de « bonne gouvernance » des sociétés « connectées » des passerelles entre politiques publiques et initiatives civiques.
La philanthropie territoriale est-elle l’un des remèdes à la réconciliation Citoyen et Cité ? L’avenir le dira …
————-
[1] La transmission d’un bien matériel ou immatériel que consent une personne au profit d’une autre personne morale ou privée, et ce de manière désintéressée.
[2] Fondation de France. Centre Français des Fondations. «2001-2010 : + 60 % de fondations ! ». Etude sur les fonds et fondations en France [En ligne]. (2010). (Page consultée le 1 juillet 2015)
[3] Loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations
[4] Calixte, L. (2015) Don de Tim Cook: la vague de la philanthropie gagne aussi la France. Challenges, [en ligne] (Mars 2015) (Consulté le 1 juillet 2015).
[5] Olivier Zunz « La philanthropie en Amérique » (2012, Fayard)
[6] http://givingpledge.org/
[7] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=E674ACA6972F9FC1EF551F8AAB195994.tpdjo09v_3?idArticle=LEGIARTI000018619171&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=vig
[8] www.performance-publique.budget.gouv.fr/documents-budgetaires/lois-projets-lois-documents-annexes-annee/exercice-2016/projet-loi-finances-2016-jaunes-budgetaires#.WLU-ShLhBZV
[9] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000018619914&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=vig
[10] www.lemonde.fr/argent/article/2016/04/05/la-generosite-bien-ordonnee-des-redevables-de-l-isf_4896204_1657007.html
[11] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000006390468
[12] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000027574005&dateTexte=&categorieLien=id
[13] www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000006392301&dateTexte=&categorieLien=cid
[14] Réponse ministérielle du 8 août 2006 (JO AN Question n°91164)
[15] www.webtimemedias.com/article/cannes-lance-un-nouvel-outil-pour-developper-le-mecenat-20160205-57684
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Blockchain et sphère publique : une culture nouvelle de la décentralisation
Le récent record atteint par la crypto-monnaie « Bitcoin » a mis en avant la technologie qui l’abrite : la blockchain (ou chaîne de blocs). Un univers technique, particulièrement complexe, et conséquemment assez obscur. Au delà de la technicité de mise en œuvre des blockchains, c’est davantage au sens et aux objectifs qu’elle propose qu’il convient de s’intéresser.
Pour qui n’est encore ni utilisateur des usages des crypto-monnaies, ni adepte convaincu de la blockchain, le succès grandissant de ces deux termes mérite d’emblée une clarification. La crypto-monnaie, comme son nom l’indique, est « une monnaie électronique circulant sur un réseau informatique dit peer-to-peer ou pair à pair (ou décentralisée) pour valider les transactions et émettre la monnaie elle-même »[1]. Sur un autre plan, la blockchain, bien qu’elle ne réponde pas à une définition identifiée, est « une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle »[2]. Plus simplement, il faut comprendre que le premier est un outil de paiement par monnaie virtuelle à laquelle est affectée une valeur de change, alors que le second est un protocole informatique permettant de valider les transactions de ladite monnaie virtuelle. Ainsi, la crypto-monnaie n’existe pas sans la blockchain alors que l’inverse n’est pas nécessairement vrai.
En effet, l’utilisation de la technologie blockchain se diversifie et s’extrait de plus en plus du seul champ de la finance pour intégrer des activités telles que l’agriculture, le droit, et même l’enseignement.
nbvcx
Blockchain : une culture numérique de la décentralisation
Les définitions précitées font ressortir deux champs sémantiques qui ont inspiré la rédaction du présent billet : « un réseau informatique décentralisé » et « sans organe central de contrôle ».
Voilà plus de 30 ans, depuis les lois de 1982, que le terme de décentralisation ne trouvait pas une application différente de celle définissant le modèle d’organisation territoriale de la République. Or, de la même manière que l’organisation administrative d’un territoire répond à une certaine architecture, celle des réseaux numériques tend à se repenser.
Mais qu’est-ce que la décentralisation dans le cadre de la blockchain ? En informatique, un système de fichiers décentralisés (ou en réseau) est un système qui permet le partage de fichiers à plusieurs personnes au travers du réseau informatique[3].
Pas très clair ? C’est normal, et c’est la raison pour laquelle les spécialistes préfèrent l’image du « grand livre ouvert sur la place publique » dans leurs explications. Ainsi la blockchain serait comme un grand livre ouvert sur une place publique sur lequel chacun vient inscrire publiquement une action (i-e : une transaction, un contrat, etc…). De fait, sans l’accord de la majorité, personne ne peut y rectifier une page déjà écrite. Mais qui détiendrait cette majorité ? C’est ici qu’intervient le sens de l’architecture décentralisée puisque chaque action est rendue pratiquement (car aujourd’hui aucun cas n’a été recensé) infalsifiable par son fonctionnement décentralisé. Avec un système centralisé, les actions sont enregistrées dans un livre détenu par un tiers (ex : google, les banques, etc…) sur lequel repose la confiance des utilisateurs. Or à travers le système décentralisé, le livre est détenu par l’ensemble des utilisateurs, ce qui permet de se passer du tiers chargé habituellement de la validation et de l’historique des transactions.
Tout est donc question de confiance !
Le modèle décentralisé du protocole blockchain repose donc sur l’absence d’un élément central comme élément régulateur. Cette conception offre ainsi à une communauté de membres d’une blockchain la possibilité de s’affranchir d’une autorité centrale pour certifier l’exactitude d’une action.
Par transposition, la blockchain (à son apogée) rendrait envisageable de construire une confiance autrement qu’à partir des lois ou de la force d’un Etat central ou encore d’une collectivité. La particularité de cette technologie est en effet de sortir des schémas verticaux pour une totale horizontalité. Il ne s’agit pas là de remettre en question la fonction politique dans la gouvernance d’un territoire, mais au contraire de s’interroger sur la façon dont la sphère publique pourrait s’imprégner d’une telle technologie dans la rénovation de ses relations et ses services avec les administrés.
Blockchain et pouvoirs publics
Cette technologie en est encore à ses balbutiements mais cela n’empêche pas certains acteurs économiques à s’y intéresser de près. Il s’agit notamment de ces fameux « tiers de confiance » tels les banques ou encore certains professionnels du droit. Or, dans bien des cas, les acteurs publics agissent aussi comme tiers et pourraient, selon les évolutions prises par cette technologie, être contraints de s’y adapter.
Malgré les défis restant à relever pour le déploiement simplifié et universel d’une telle technologie, la sphère publique perçoit les évolutions prévisibles et, les expérimente déjà.
A titre d’exemples :
- En France
Le 29 mars 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a annoncé, à l’occasion des Assises du financement participatif, une adaptation de la réglementation financière afin de permettre l’expérimentation de blockchains dédiées au marché des bons de caisse.
Au cours de cette conférence, Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé la création d’une nouvelle catégorie de bons de caisse adapté au financement participatif : les minibons. Ceux-ci ont la particularité suivante[4]: « Sans préjudice des dispositions de l’article L. 223-4 du Code monétaire et financier, l’émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat. »
La porte à l’utilisation de la blockchain est entre-ouverte.
- Royaume-Uni : Le gouvernement et sa division des Services Gouvernementaux Numériques, GDS (Government Digital Services), ont exploré la façon d’utiliser la technologie de la blockchain en tant que registre numérique. Les registres gouvernementaux traitent des données telles que des renseignements sur le cadastre, des données d’entreprise et des informations d’immatriculation de véhicules. Les données contenues dans ces registres peuvent être sensibles, et ont besoin d’avoir des niveaux élevés d’intégrité, car beaucoup concernent des entités juridiques. Afin de maintenir cette intégrité, les GDS envisagent d’utiliser la blockchain comme possible protocole pour ces registres. Le Bureau du Gouvernement pour la Science britannique a publié un rapport détaillé intitulé « La technologie des registres distribués : au-delà de la chaîne de blocs » (“Distributed Ledger Technology: beyond blockchain”)[5].
- États-Unis : L’administration a accordé 3 millions de dollars aux chercheurs pour examiner les utilisations de crypto-monnaies, y compris leur application aux « contrats intelligents » (smart contracts). Les contrats intelligents transforment un contrat standard en un programme exécutable sur la base de règles qui, une fois appliquées, exécutent ensuite les différentes dispositions du contrat tout au long de son cycle de vie. Le gouvernement souhaitait connaître comment les contrats intelligents pouvaient modifier la façon dont se déroulent les transferts financiers (tels que l’impôt, d’autres financements). En effet, chaque séquence est enregistrée et horodatée dans la blockchain, ce qui lui assure sa propre intégrité, le cryptage la rendant inviolable.
- Singapour : Le gouvernement et l’Autorité Monétaire de Singapour (MAS), ont investit près de 225 millions de dollars en « FinTech » (technologie financière) et en innovation, dont une partie concerne l’utilisation de la technologie de la blockchain pour un stockage sécurisé des données[6].
- Tunisie : Le gouvernement utilise la technologie de la blockchain pour améliorer l’accessibilité aux services financiers pour tous les citoyens[7].
- Estonie : un programme « e-residence » a été établi pour permettre à quiconque dans le monde entier de demander à devenir e-résident de l’Estonie (pour y implanter une entreprise, par exemple). Les résidents obtiennent leur carte d’identité numérique avec une clé cryptographique afin de signer des documents numériques en toute sécurité, le tout en supprimant la nécessité d’une signature manuelle sur les formulaires gouvernementaux. De cette façon, les citoyens estoniens à part entière peuvent voter et voir quelles sont les données détenues par le gouvernement à leur sujet ; qui y a accédé et pour quelles raisons[8].
La blockchain : un protocole informatique, une culture décentralisée et fondée sur la confiance entre les parties prenantes
En conclusion, le concept de cette technologie distribuée ou décentralisée représente un possible bouleversement de nos usages personnels, professionnels et même citoyen. Toutefois, l’engouement médiatique incontestable, décuplé par le succès (spéculatif) du Bitcoin, a créé une forme de « buzz » autour de la blockchain qu’il convient de nuancer. En effet, la technologie blockchain a encore besoin de temps : pour se simplifier, pour se déployer, pour créer ses propres usages et écosystèmes.
En revanche, si le temps d’une émancipation globalisée de la blockchain n’a pas encore sonné, il convient de retenir que les phases expérimentales sont lancées et pour reprendre une citation de Bill Gates : « On surestime toujours le changement à venir dans les deux ans, et on sous-estime le changement des dix prochaines années. Ne vous laissez pas bercer par l’inaction»[9].
Alain-Joseph Poulet
Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crypto-monnaie
[2] https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_fichiers_distribu%C3%A9
[4]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5391A6236F27AAE736F68CF13B0C1A5F.tpdila11v_2?cidTexte=JORFTEXT000032465520&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000032465291ggh
[5] https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/492972/gs-16-1-distributed-ledger-technology.pdf
[6] http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2016/11/16/97002-20161116FILWWW00119-singapour-va-lancer-une-plateforme-blockchain.php
[7] http://www.usine-digitale.fr/article/la-tunisie-pionniere-sur-la-blockchain.N373061
[8] http://convention-s.fr/wp-content/uploads/2016/12/EN-ESTONIE-_-BLOCKCHAIN-EN-PASSE-DE-REMPLACER-LES-NOTAIRES-_.pdf
[9] Gates, B., Myhrvold, N., & Rinearson, P., 1996. The road ahead (2nd ed.). New York ; London: Penguin Books.
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Dimanche 4 décembre, référendum en Italie, laboratoire politique
Dimanche 4 décembre 2016, les Italiens sont appelés aux urnes pour s’exprimer dans le cadre d’un référendum portant révision de la Constitution du 1 janvier 1948. Examinons la question à laquelle il leur est proposé de répondre :
Approuvez-vous le texte de la loi constitutionnelle sur les « dispositions pour dépasser le bicamérisme, sur la réduction du nombre des parlementaires, sur la maîtrise des coûts de fonctionnement des institutions, sur la suppression de la Cnel et sur la révision du titre V de la deuxième partie de la constitution », tel qu’approuvé par le Parlement et publié dans le no 88 de la Gazzetta ufficiale du 15 avril 2016 ? »
Ce référendum s’inscrit dans un processus de réformes initié par Matteo Renzi, Président du Conseil italien, dès son arrivée au pouvoir en 2014. Si la France était, parallèlement, traversée par un vent de réformes territoriales, l’Italie n’était pas en reste et s’apprêtait à vivre la « Renzimania ». Les réformes évoquées sous le Gouvernement « Renzi » sont multiples :
- Economiques : à travers le « jobs act » ;
- Fiscales : suppression de l’impôt foncier et de la taxe d’habitation sur la résidence principale et la réduction de l’impôt pour les bas revenus et d’allègement en faveur des entreprises ;
- Et d’ordre constitutionnelle.
A quelques jours du vote référendaire, examinons le contenu de la reforme constitutionnelle proposée :
Le contexte politique : le phénomène « Renzimania »
Aucune surprise dans la démarche. En effet, ironie ou sens de l’humour, c’est devant le Sénat en février 2014, que l’ancien maire de Florence, Matteo Renzi, annonçait ses ambitions de réformes devant contribuer au renouveau économique et social de la péninsule italienne. Et parmi ces réformes, figurait la modernisation de l’institution sénatoriale dans sa forme actuelle, jugeant le processus législatif (« fabrique de la loi ») trop lent.
Il affirmait en ces termes « vouloir être le dernier Premier ministre à demander la confiance du Sénat ». Un discours audacieux pour celui qui ne disposait même pas de l’âge légal pour siéger au Sénat (celui-ci étant fixé à 40 ans et n’en ayant que 39 ans alors).
Pour l’accompagner dans cette modernisation c’est une jeune avocate Maria Elena Boschi qui sera nommée, en février 2014, « ministre pour les Réformes constitutionnelles et les Relations avec le Parlement ». Au regard des vifs débats parlementaires, il aura fallu presque 2 ans pour convaincre de l’opportunité de la réforme : le 12 avril 2016, la « loi Boschi » ou « Renzo-Boschi » est adoptée définitivement… enfin presque. Une victoire pour Président du Conseil qui avait fait de cette réforme une de ses priorités : « la mère de toutes les réformes ». « Si nous la faisons, alors nous aurons réussi notre tournant » [1]. M. Renzi veut être celui qui changera définitivement (jusqu’à la prochaine réforme) le cadre institutionnel de l’Italie.
Malgré le vote parlementaire, la loi n’est pas encore définitive et son entrée en vigueur est suspendue au vote référendaire. Cela, en raison de la nature constitutionnelle de la loi et conséquemment des règles de majorités applicables.
Ces règles sont définies à l’article 138 de la Constitution italienne [2] du 1er janvier 1948:
« Les lois de révision de la Constitution et les autres lois constitutionnelles sont adoptées par chaque chambre au moyen de deux délibérations successives à un intervalle de trois mois au moins et elles sont approuvées, au second tour de scrutin, à la majorité absolue des membres de chaque chambre.
Ces lois sont soumises à un référendum populaire lorsque, dans les trois mois suivant leur publication, un cinquième des membres d’une chambre ou cinq cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux en font la demande. La loi soumise à un référendum n’est pas promulguée si elle n’est pas approuvée à la majorité des suffrages valablement exprimés.
Il n’y a pas lieu de procéder à un référendum si la loi a été approuvée au second tour de scrutin par chacune des deux chambres à la majorité des deux tiers de ses membres. »
En l’espèce, la loi « Boschi » a été adoptée à la majorité absolue (moitié des voix plus une) manquant ainsi la majorité qualifiée des deux tiers du Parlement pour passer outre le référendum. Ainsi, en application de l’article 138, la procédure de référendum a été ouverte à la demande des membres du Parlement réunissant au moins les un cinquième des membres d’une Chambre (et en l’espèce le seuil des 1/5ème était atteint dans les deux Chambres). [3]
La lecture de la question posée au peuple italien fait apparaître les principales dispositions contenues dans cette loi de réforme constitutionnelle dont il convient d’en présenter les détails ci-après.
Les dispositions de la loi constitutionnelle soumises au référendum
1. Vers la fin du « bicamérisme parfait »
En Italie, le processus législatif s’articule autour d’un Parlement composé par la Chambre des députés (l’équivalent de l’Assemblée nationale) et par le Sénat. L’organisation du Parlement est dite « parfaite » ou « paritaire », en ce sens que les deux chambres disposent des mêmes compétences. En pratique, cela se traduit par l’obligation qu’un texte de loi soit examiné à tour de rôle par les députés et par les sénateurs. Une procédure également connue sous les termes de « navette parlementaire ».
Mais si l’organisation du Parlement italien est « parfaite », pourquoi la modifier ? L’objectif affiché par Matteo Renzi est triple :
- simplifier la vie politique,
- réduire les coûts
- garantir plus de stabilité politiqu
Cela passerait donc par une révision de l’organisation du Parlement, et donc des relations entre les deux Chambres, qui vise à rendre la « fabrique de la loi » plus efficiente permettant une adoption des textes dans des délais plus courts.
En pratique, le passage d’un bicamérisme parfait en un bicamérisme imparfait induit l’introduction de la notion de différenciation parlementaire et l’idée que les deux Chambres n’ont pas la nécessité d’intervenir égalitairement dans toute la fabrication d’un texte de loi.
Par ailleurs, la forme actuelle du Parlement (bicamérisme parfait) présente des contraintes politiques. En effet, à considérer que les deux Chambres ont les mêmes compétences, un gouvernement ne pourrait survivre sans majorité en leur sein.
Pour les militants du « NON » (rejet du référendum), la modification de l’organisation parlementaire n’aurait aucun sens et aucun impact financier.
fdf
2. La modernisation du Sénat
La fin annoncée du bicamérisme parfait modifie donc le rôle du Parlement. Mais de quelle manière ? C’est sur le Sénat que le président du Conseil a porté son dévolu sans pour autant le supprimer puisqu’il conserve sa dénomination actuelle : il Senato della Republica.
Réduction du nombre de parlementaires. Qui et combien ?
Le Sénat dans sa forme actuelle compte 321 sénateurs élus au suffrage universel direct dans un cadre régional. Cette réforme propose une révision majeure de l’institution dont [4] :
- La réduction du nombre de sénateurs de 321 à 100 :
- 95 élus régionaux (la durée du mandat des sénateurs coïncide avec celle des organes des institutions locales à partir de laquelle ils ont été élus)
- 5 nommés par le gouvernement (ces cinq derniers seront élus pour sept ans, le temps du mandat présidentiel) ;
- L’indemnité des sénateurs est supprimée ;
- En terme de compétences :
- Le Sénat ne votera plus la confiance du Gouvernement ;
- Le Sénat n’aura plus de compétences en matière d’Etat d’urgence, ou de guerre ;
- Il conserve toutefois des pouvoirs législatifs dans les domaines suivants :
- Les rapports entre l’Etat, l’Union Européenne et les territoires ;
- Sur les textes modifiant les compétences régionales ;
- Pour les lois de révision de la Constitution ;
- Pour les lois relatives aux référendum populaire
- Pour les lois qui déterminent les règles électorales, les organes et les fonctions fondamentales des communes et des Métropoles et les groupements de communes.
Dans ce contexte, la Chambre des députés deviendra l’unique assemblée législative.
Réduction des coûts institutionnels : l’exemple de la suppression de la CNEL
Poursuivant une logique de réduction des coûts de fonctionnement des institutions, le Consiglio Nazionale dell’Economia e del Lavoro (Conseil National de l’Economie et du Travail, l’équivalent du CESE) sera supprimé. Le CNEL est un organisme consultatif du gouvernement, du Parlement, des Régions et des Provinces autonomes, auxquelles il fournit, sur demande, des avis en matière économique et sociale. Le CNEL a été institué par l’article 99 de la Constitution italienne en janvier 1957 ; et son activité est encadrée par la loi n° 936 de 1986 et par la loi n° 383 de 2000.
Le CNEL exprime des avis demandés par les dites Institutions et offre des propositions et des avis sur la législation nationale et régionale, en matière de législation économique et sociale.
fdf
3. La révision du titre V de la deuxième partie de la constitution : suppression des « province » (nos départements)
Le titre V de la Constitution italienne du 1er janvier 1948 est consacré aux dispositions relatives à l’organisation territoriale de la République italienne et sur les statuts des collectivités territoriales. Ce titre s’intitule les « régions, provinces, communes ».
Ainsi, comme en France, l’organisation territoriale de la République italienne repose sur des échelons administratifs disposant de compétences propres, voire pour certains de pouvoirs législatifs.
A titre de rappel, l’Italie est composé de 20 régions [5] dont 15 dites à statut normal et 5 régions autonomes dites à statut particulier. La réforme, objet du référendum, ne concerne d’ailleurs pas les 5 régions autonomes que sont : Val-d’Aoste, Trentin-Haut-Adige, Frioul-Vénétie Julienne, Sicile, Sardaigne.
Ainsi, la loi « Boschi » prévoit une disposition majeure relative à l’organisation territoriale de la République italienne à savoir : la suppression des « province ». Les Provinces pourraient avoir pour équivalence en France les départements. Dans ce contexte, l’article 114 de la Constitution serait ainsi modifié :
« La République se compose des communes, des villes métropolitaines, des régions et de l’État.
Les communes, les villes métropolitaines et les régions sont des entités autonomes ayant un statut, des pouvoirs et des fonctions propres, conformément aux principes établis par la Constitution. Rome est la capitale de la République. Son statut est réglé par la loi de l’État. »
Conséquemment les termes de « Province » sont abrogés aux articles 118 et 119 de la Constitution.
Quelles conséquences sur les collectivités territoriales ?
L’impact de cette suppression n’est pas neutre puisqu’elle vient redéfinir les compétences entre les collectivités restantes, ainsi que renforcer le rôle de l’Etat. D’ailleurs, il est intéressant de noter que la réforme prévoit une révision quasi intégrale de l’article 117 de la Constitution qui définit la répartition de compétences législatives entre les Régions et l’Etat. La réécriture de cet article se traduit par un renforcement certain de l’Etat central.
En effet, la réforme abolit la notion de « compétences concurrentes » et transfère à l’Etat des compétences jusqu’alors partagées (concurrentes) avec les régions. Parmi celles-ci, l’Etat devient seul compétent sur[6] :
- La coordination des finances publiques et le système d’imposition; La péréquation des ressources financières ;
- Les règles de procédure administrative et la réglementation de la fonction publique visant à assurer l’uniformité sur le territoire national ;
- Les dispositions générales et communes pour la protection en matière de santé, pour les politiques sociales et pour la sécurité alimentaire
- Les dispositions générales et communes pour l’éducation; le système éducatif; l’enseignement universitaire et la planification stratégique de la recherche scientifique et technologique;
- Le scrutin électoral, les organes et les fonctions fondamentales des municipalités et des villes métropolitaines; ainsi que sur les dispositions relatives aux formes de regroupements communaux ;
- La sécurité sociale, y compris les pensions complémentaires ; la protection et la sécurité d’emploi; les politiques du marché du travail ; les dispositions générales et communes sur la formation professionnelle ;
- La protection et la valorisation du patrimoine culturel; l’environnement et l’écosystème; le droit du sport; les dispositions générales et communes sur les activités culturelles et le tourisme ;
- Les dispositions générales et communes sur la production, le transport national de l’énergie et la distribution ;
- Les infrastructures stratégiques des grands réseaux de transport, des ports et des aéroports civils d’intérêt national et international.
fdf
4. Les autres dispositions de la réforme constitutionnelle
L’expression de la démocratie
L’article 71 de la Constitution confère au peuple italien un pouvoir législatif à travers l’«initiative législative ». Ce droit permet à 50.000 citoyens signataires de proposer un texte de loi.
La réforme constitutionnelle modifie le présent article qui élève le seuil des signataires qui passe de 50.000 à 150.000 citoyens.
Le référendum
Deux nouvelles catégories de référendum sont créées :
– le référendum « propositivo » : délibératif ;
– le référendum « di indirizzo » : pour avis/consultation.
Pour décider des modalités et des effets de ces modes de consultations citoyennes, il faudra, dans un premier temps, une loi constitutionnelle puis, dans un second temps, une loi ordinaire.
L’élection du président de la République
Les modalités d’élection du président de la République sont modifiées comme suit :
- Participeront seulement à l’élection, les députés et sénateurs ;
- Les règles de quorum sont modifiées :
- Majorité des deux tiers des votants pour les trois premiers scrutins,
- Majorité des trois cinquièmes des votants à partir du quatrième scrutin,
- Majorité des trois cinquièmes des votants à partir du septième scrutin.
Le président de la République pourra dissoudre uniquement la Chambre des députés, et non plus le Sénat. Le président de la Chambre des députés devient suppléant du président de la République en cas d’incapacité de ce dernier.
Les enjeux de la réforme constitutionnelle
L’exercice soumis à l’appréciation démocratique présente bien des enjeux. Le premier, et plus apparent, c’est un enjeu historique. Ce référendum constitutionnel sera le 3ème en 15 ans, les deux derniers datant de 2001 [7] et 2006 [8]. Le second porte sur l’issue même du référendum.
Si, le « Oui » l’emporte, alors ce référendum constituera l’une des plus importantes modifications institutionnelles depuis la fin de la monarchie italienne.
Aussi, ce référendum pose comme autre enjeu, « l’équilibre parlementaire » permettant d’apporter, enfin, une réponse à une fabrique de la loi pesante et immobilisante. Concrètement, il s’agira par cette réforme de transformer le « Sénat de la République » par un « Sénat des Régions ».
Toutefois, selon Carlo Rapicavoli, directeur général de la Province de Treviso :
« La révision du titre V apporte avec elle de nombreuses contradictions. Elle n’a pas clarifiée ou résolue les principales questions critiques découlant de la réforme de 2001. Elle consacre le retour de l’Etat, donnant aux relations entre les autorités nationales et locales un tournant clairement centraliste. La réforme limite le pouvoir législatif des régions et n’apporte pas d’éléments de clarté dans la répartition des compétences entre les collectivités et l’Etat. Elle supprime ainsi un chemin lent et difficile de la décentralisation administrative et renforce le renouveau de la centralisation. Elle perpétue et renforce une différenciation claire entre les territoires – régions spéciales et normales-. Enfin, elle trahit et contredit le principe fondamental de notre droit consacré par l’art. 5 [9] de notre Constitution. » [10]
Vers un parlementarisme différencié en France
En 2015, déjà le blog de l’IGTD abordait cette notion de « fabrique de la loi » en France puisqu’en 2008, François Fillon, Premier ministre, avait informé, dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, que « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». De cet acte, une forme d’obligation de résultats engageait ses ministres. En effet, la circulaire prévoyait, et le prévoit toujours, la publication tous les 6 mois sur le site www.legifrance.gouv.fr des bilans de l’application des lois. Le dernier bilan en ligne (au 30 juin 2015) fait état que seul 70% des décrets d’application ont été effectifs et publiés par le gouvernement. Le calcul est rapide, 30% des textes de lois sont encore dans l’attente de publication, et restent donc inapplicables. Les raisons de cette attente sont diverses, comme l’explique Philippe Bas, président de la Commission des lois du Sénat, « lorsque la publication des décrets se fait attendre, c’est en général que le compromis politique qui a été trouvé n’est pas applicables dans les faits. […]. Il arrive aussi que des décrets ne soient pas pris pour des questions de budget ».[11]
Depuis cette circulaire, la problématique reste inchangée et le temps législatif et son application demeurent longs. Sans doute, contrebalancer cette tendance est devenu un enjeu majeur. Le Président de la République François Hollande a, quant à lui, fait le choix d’un classement officieux de ses ministres.[12] Tous les moyens semblent permis mais lesquels fonctionnent ?
Les exigences du temps démocratique doivent inciter le législateur à la nécessité de réduire le temps de la « fabrique de la loi ». Une des réponses possibles pourrait se trouver dans la révision de la procédure législative et surtout dans les rôles respectifs des deux Chambres. Comme il a été rappelé ci-dessus, le bicamérisme français est inégalitaire du fait de la prédominance d’une Chambre sur l’autre. Mais cette prédominance ne se caractérise pas pourtant par des compétences différenciées selon la nature et l’objet des textes à examiner. Dès lors, les Chambres ne pourraient-elles pas disposer de compétences spécialisées en fonction de l’objet du texte de loi ? La « navette » parlementaire se verrait allégée de contraintes procédurales et libérée en vue de renforcer l’étape de mise en application de la loi.
Comme son voisin transalpin, doucement mais surement, l’idée d’une réforme émerge en France. L’inconnu réside quant à son intitulé : constitutionnelle, institutionnelle… et les ambitions des deux Chambres semblent déjà diverger. Comme en témoigne le récent témoignage de Gérard Larcher, président du Sénat, pour qui les objectifs d’une réforme seraient de « renforcer la participation aux travaux sénatoriaux, légiférer et contrôler plus efficacement, garantir la transparence financière et une gestion exigeante ».[13] A l’inverse, Claude Bartolone admet la lenteur de l’appareil législatif et va jusqu’à proposer « une révision constitutionnelle […] parallèlement je souhaite que nous ayons une réflexion sur nos institutions.»[14]
Le sujet de la différenciation parlementaire comme outil de fluidification du processus législatif est à présent ouvert voire plus que jamais une nécessité dans un monde mouvementé où l’expression démocratique dépasse le seul vote et les stricts grands rendez-vous électoraux.
Alain-Joseph Poulet
Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr
[1] http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/en-italie-matteo-renzi-lance-sa-reforme-constitutionnelle-513552.html
[2] http://mjp.univ-perp.fr/constit/it1947a.htm
[3] http://www.ilsole24ore.com/art/notizie/2016-04-20/referendum-riforme-depositate-firme-senatori-dell-opposizione–115248.shtml?uuid=ACgAVRBD&refresh_ce=1
[4]http://www.repubblica.it/politica/2015/10/13/news/scheda_riforma_costituzione_senato_ddl_boschi_solo_testo-124904893/
[5] Piemont, Lombardie, Vénétie, Ligurie, Émilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marche, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicate, Calabre
[6] http://www.leggioggi.it/2016/10/26/referendum-costituzionale-contenuti-riforma-cosa-cambia-per-regioni-e-autonomie-locali/
[7] Réforme constitutionnelle approuvée le 18 octobre 2001 visant à modifier l’article V de la Constitution
[8] Réforme constitutionnelle des 25 et 26 juin 2006 dit de « réforme fédérale »
[9] Article 5 : « La République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales ; elle réalise dans les services qui dépendent de l’État la plus large décentralisation administrative ; elle adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l’autonomie et de la décentralisation. »
[10] http://www.leggioggi.it/2016/10/26/referendum-costituzionale-contenuti-riforma-cosa-cambia-per-regioni-e-autonomie-locali/
[11] Hélène Bekmezian interview de Philippe Basfustige « l’incroyable obésité » des textes, Le Monde, 5 août 2015
[12] Marc de Boni, « François Hollande fait classer les performances de ses ministres », Le Figaro, 26 juin 2015
[13] Sophie Huet, « Larcher propose une réforme du Sénat », Le Figaro, 12 mars 2015
[14] Hélène Bekmezian, interview avec Claude Bartolone, « Le président doit pouvoir débattre avec les parlementaires », Le Monde, 5 août 2015.
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Entretien exclusif avec Stéphane Le Foll (Extrait PL108)
Entretien avec Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, porte-parole du gouvernement
« C’est la vie des territoires qu’il faut imaginer et construire et non simplement l’administration des territoires, ni même l’aménagement des territoires »
Pouvoirs Locaux : L’actualité du ministère a été et demeure particulièrement dense. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos différentes réalités ?
Stéphane Le Foll: Dans l’activité du ministère, il y a une dimension européenne évidente. La politique agricole, c’est d’abord une politique européenne. La réforme de la politique agricole commune (PAC) a été au cœur des grands enjeux agricoles en 2013 et 2014 et de nombreux Conseils des ministres de l’agriculture ont été nécessaires. Aujourd’hui nous traversons une triple crise de marché, et là aussi la réponse doit être trouvée à l’échelle européenne à un moment où l’Europe s’est privée de tout outil de régulation des marchés (NDLR: fin des quotas en 2008). La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du13 octobre 2014que j’ai portée insiste sur la nécessaire combinaison de trois performances qui sont souvent opposées et qui, je pense, sont tout à fait compatibles : la performance économique, la performance environnementale et la performance sociale. Cette dernière est un enjeu particulier dans le monde rural mais aussi dans le monde urbain et périurbain. L’activité du ministère, c’est aussi l’enseignement agricole et la recherche. Nous avons besoin d’un enseignement agricole qui prolonge les choix stratégiques eux-mêmes soutenus par une recherche dynamique. C’est d’ailleurs avec les chercheurs qu’a été développée la stratégie « 4 pour 1000 », une stratégie de stockage de carbone dans les sols agricoles, à l’échelle mondiale, s’inscrivant dans une démarche d’atténuation du réchauffement climatique. Ce programme regroupe une centaine de pays dans le monde et autant d’institutions mondiales. Ces initiatives correspondent aussi à une projection dans l’avenir et à la reconnaissance d’un fait: l’agriculture est elle-même porteuse de solutions pour limiter les effets de sa propre activité
Pouvoirs Locaux : Vous avez initié en février 2016, un débat sur les nouvelles dynamiques rurales et agricoles pour « penser autrement le rural ». Quelle est votre définition du rural ?
Stéphane Le Foll: Nous pouvons toujours le définir, par opposition, comme ce qui n’est pas urbain. En ce sens, la définition de l’Insee définit « l’espace à dominante rurale, ou espace rural, [comme le regroupement] de l’ensemble des petites unités urbaines et communes rurales n’appartenant pas à l’espace à dominante urbaine » (pôles urbains, couronnes périurbaines et communes en multipolarité). Cet espace est très vaste, il représente 70 % de la superficie totale du territoire et les 2/3 des communes de la France métropolitaine. Il faut également tenir compte de la densité des espaces ruraux et forestiers comme il faut comprendre qu’il n’existe pas une agriculture mais des agricultures. Si l’exode rural a été un mouvement de la population agricole vers l’urbain, aujourd’hui l’espace rural est un espace de navette pour les personnes qui travaillent en ville et qui vivent dans un espace rural. 82 % des habitants du monde rural vivent dans des communes dont les actifs occupés dépendent pour plus de 30 % d’emplois urbains. Cette navette a complètement changé le rural. Nous sommes en quelque sorte restés figés sur une vision du rural statique alors que sa réalité est de plus en plus mobile. Cette nouvelle donne doit permettre de vivre et de penser autrement les dynamiques rurales. Mon expérience d’élu d’un territoire rural m’a permis de constater qu’un espace rural se construit certes sur une activité agricole mais que celle-ci demeure reliée à un village qui voit se développer aux alentours des lotissements. Concevoir le rural de demain, c’est intégrer cette dimension d’expansion et la gérer en répondant aux attentes de ceux qui ont fait le choix du monde rural, soit de manière volontaire, soit de manière subie, souvent en raison du coût de la vie en ville…..
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La métropole pour tous
3 août 2016, Jean-Michel Baylet présente en Conseil des ministres le projet de loi relatif au « Statut de Paris et à l’aménagement métropolitain ». Double objectif :
– Harmoniser le statut particulier de la « Ville de Paris » (fusion de la commune et du département),
– Modifier les critères d’accès au statut de métropole.
C’est tout particulièrement ce deuxième point qui attire notre attention.
En effet, moins de trois ans après l’entrée en vigueur de la loi de Modernisation de l’action publique et d’affirmation des Métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014, le cadre métropolitain évolue. Mais pourquoi ? Dans quelles conditions ? Quelles conséquences ? Et quelles sont ces nouvelles villes candidates ?
Statut de Métropole : l’imprévisible ouverture
Le cadre de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 semblait fixé : 14 métropoles1 et pas une de plus. En notant que le cas de Brest présente une première particularité et ce changement de statut obéit à une disposition un peu différente de la loi (il s’agit du cas où l’EPCI est au centre d’une zone d’emploi de plus de 400.000 habitants, où un certain nombre de compétences sont exercées par la communauté en lieu et place des communes et où au moins les deux tiers des conseils municipaux se sont exprimés en faveur du projet de métropole). Bref, une sélection stricte élaborée à partir de critères d’attribution encadrés et fondés essentiellement à l’appui de données démographiques et fonctionnelles. A titre d’exemple, la loi crée le passage au statut de métropole de « plein droit » pour les EPCI à fiscalité propre existants, de plus de 400 000 habitants, situés dans une aire urbaine de plus de 650.000 habitants. L’INSEE complète cette base légale en définissant la notion d’ « aire urbaine ».
Or, l’ouverture de la récente réforme territoriale par un texte consacré aux métropoles n’apparaît plus comme un hasard. Cette transformation de catégorie ouverte aux EPCI se positionne comme une innovation en réponse aux enjeux économiques et internationaux. D’ailleurs, la loi Notre du 7 août 2015 y apportera de légers ajouts notamment sur les statuts particuliers du Grand-Paris et d’Aix-Marseille-Provence.
La nouvelle carte territoriale dessinée par la récente réforme crée des opportunités pour certaines aires urbaines jusqu’alors éloignées de l’objectif « métropole » au regard des conditions fixées par la loi MAPTAM. Parmi elles : l’agglomération nancéienne. En effet, avec 266 000 habitants, le Grand Nancy était loin des 400 000 habitants prévus par la loi. Les frontières entre « théorie et pratique » ont été, en l’espèce, repoussées.
Mais si Brest est devenue métropole alors pourquoi pas Nancy. Et l’intercommunalité du Grand Nancy l’est devenue le 20 avril 20162 . Une candidature gagnante à base de quatre circonstances harmonieuses : l’élargissement du périmètre régional par la création de la grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne (Grand Est), l’entrée en vigueur de la loi Maptam (affirmation des métropoles), l’impulsion gouvernementale de renforcer la solidarité entre les territoires3 et surtout, ici, un territoire intercommunal propice à recevoir la « bénédiction » métropolitaine, mais par décret.
En effet, la campagne métropolitaine conduite par André Rossinot, président du Grand Nancy, Laurent Hénart, maire de Nancy, Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle et Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle ont ainsi évoqué la « longue tradition d’intercommunalité du Grand Nancy, qui remonte à 1959, et son rôle structurant auprès des 580 000 habitants du sud meurthe-et-mosellan, pour postuler au changement de statut » 4.
14 + 1 = 15. Le statut de métropole attire.
La confirmation de l’attractivité du statut de métropole
Dijon, Orléans, Saint-Etienne, Toulon. Les villes candidates au changement de statut juridique sont nombreuses. Et pour cause. Le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 3 août 2016 vient assouplir les conditions d’accès au statut de métropole.
Pour prétendre au titre, voici les évolutions depuis la loi MAPTAM :
Conditions non cumulatives | Loi MAPTAM du 27 janvier 2014 | Projet de loi du 3 août 2016 | |
Art. L. 5217-1, al. 4 :
Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui forment, à la date de la création de la métropole, un ensemble de plus de 400 000 habitants et dans le périmètre desquels se trouve le chef-lieu de région. |
|
Art. L. 5217-1, al. 4, modifié :
Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui forment, à la date de la création de la métropole, un ensemble de plus de 400 000 habitants (supprimé : et dans le périmètre desquels se trouve le chef-lieu de région). |
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ou | ou | ||
Art. L. 5217-1, al. 5 : Les établissements publics de coopération intercommunale, non mentionnés au deuxième alinéa et au 1° du présent article, centres d’une zone d’emplois de plus de 400 000 habitants, au sens de l’Institut national de la statistique et des études économiques, et qui exercent en lieu et place des communes, conformément au présent code, les compétences énumérées au I de l’article L. 5217-2 à la date de l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. |
Art. L. 5217-1, al. 5, inchangé : Les établissements publics de coopération intercommunale, non mentionnés au deuxième alinéa et au 1° du présent article, centres d’une zone d’emplois de plus de 400 000 habitants, au sens de l’Institut national de la statistique et des études économiques, et qui exercent en lieu et place des communes, conformément au présent code, les compétences énumérées au I de l’article L. 5217-2 à la date de l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. |
||
ou | ou | ||
Art. L. 5217-1, al. 6, nouvel ajout:
Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre centres d’une zone d’emplois comptant plus de 400 000 habitants, telle que définie par l’Institut national de la statistique et des études économiques, et dans le périmètre desquels se trouve le chef-lieu de région. |
Le projet de loi remplace le seuil de population requis pour l’EPCI (400.000 habitants) par celui de la zone d’emploi tout en conservant la notion de chef-lieu de région. Des conditions pleinement remplies pour Dijon et Orléans par opposition aux villes de Toulon et Saint-Etienne. Toutefois, ces dernières ont pu bénéficier des circonstances favorables de la recomposition de la carte intercommunale et franchir le seuil requis.
15 + 4 = 19. L’ « effet métropole » est confirmé.
Les métropoles ou des oasis au milieu de futurs déserts ?
La recherche du juste équilibre métropolitain repose sur des critères variables. Par exemple, Jean-Christophe Fromantin, député-maire des Hauts-de-Seine, conçoit une carte territoriale axée à travers huit pôles métropolitains forts et interconnectés à grande vitesse 5 . Un équilibre adapté à la vie de nos territoires à l’échelle mondialisée.
Cette course effrénée « à l’effet métropole » entre en contradiction avec l’objectif de la loi MAPTAM qui était celui de réserver ce statut à un nombre limité de villes. Le « Club » des 13 (métropoles initiales) a-t-il perdu de son intimité ? Les villes-candidates invoquant vouloir « jouer » à règles égales et bénéficier d’une attractivité supplémentaire orientée vers le développement économique et international.
Ainsi, l’engouement est certain car « le statut de métropole fait rêver… » précise André Rossinot. Mais ce projet de loi contribue-t-il encore au maintien du rêve ? Gael Perdriau, maire de Saint-Etienne, rappelle que « Ce club des métropoles est très fermé et doit le rester. Car s’il est largement ouvert comme l’on été les pôles de compétitivité, il perd de son intérêt » 6 .
La « boîte de pandore » vient-elle d’être ouverte ? Nul ne le sait mais d’ores et déjà, Clermont-Ferrand et Tours frappent à la porte des candidats potentiels au service de leur rayonnement et reconnaissance. Quel avenir pour les métropoles ? La « France d’oasis et les déserts périphériques » évoquée par Jean-Pierre Balligand trouve-t-elle ici une application renforcée ?
Autre évolution possible. Lyon fait figure d’exception dans le paysage des métropoles françaises et ne figurent pas dans le décompte ci-dessus puisqu’elle est une collectivité territoriale à part entière à l’inverse des autres métropoles (EPCI). Mais alors, par un mécanisme de différenciation, assisterons-nous à la création d’un nouveau Club des métropoles à statut particulier sur le modèle de Lyon ?
Alain-Joseph Poulet
Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr
[1] 12 métropoles de droit commun (Bordeaux, Brest, Grenoble, Lille, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse) et 2 métropoles à statut particulier (Grand Paris et d’Aix-Marseille Provence).
[2] Décret n° 2016-490 du 20 avril 2016 portant création de la métropole dénommée « Métropole du Grand Nancy »
[3] Comité interministériel des ruralités du 14 septembre 2015 http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/liseuse/5246/master/index.htm
[4] http://www.lagazettedescommunes.com/394948/le-grand-nancy-et-sa-campagne-font-route-vers-la-metropole/
[5] http://www.fromantin.com/2013/05/huit-poles-territoriaux-pour-faire-entrer-la-france-dans-la-mondialisation/
[6] http://www.lesechos.fr/politique-societe/regions/0211183593903-jean-michel-baylet-siffle-la-fin-de-la-course-aux-metropoles-2018786.php
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