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Le nouveau Premier Ministre, lors de son discours de politique générale[1], s’est montré offensif en réaffirmant l’autorité républicaine.

Durant l’été, l’actualité s’est faite l’écho de plusieurs faits graves (Saint-Ouen, Saint Denis, Nice et Grenoble) sur fond d’occupation de l’espace par des bandes rivales notamment liées au contrôle du trafic de drogue.

C’est à Nice, précisément, que le 25 juillet dernier, le Premier Ministre a fait l’annonce de la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros.

Avant tout, reconnaissons que cette AFD — si elle est suivie et généralisée par le Parquet — permettra aux policiers d’éviter des procédures fastidieuses, aux effets limités qui les mobilisent au détriment de l’efficacité de l’action. Les principaux syndicats de police lui ont réservé un accueil assez bienveillant, reconnaissant que cette mesure constitue un gain de temps, leur permettant d’être plus efficace sur le terrain.

Mais l’est-elle pour l’autorité de l’État ? Sans doute trop tôt pour le dire : une évaluation devra être faite à courte, moyenne et plus longue échéance.

Tant que nous continuerons à minorer les incidences sur la santé publique de la consommation de stupéfiants y compris ceux qualifiés par démagogie de « drogues douces » voire d’acte récréatif, nous ne lutterons pas efficacement contre les trafics.

Pendant le confinement, le non-respect de cette disposition permettait aux forces de l’ordre d’intervenir et de sanctionner l’occupation abusive de l’espace public.[2] Nous pensons que pour être efficace, l’AFD de 200 euros pour consommation de stupéfiants doit se doubler d’une AFD pour occupation illégale de l’espace public, ainsi les forces de l’ordre tiendraient les deux bouts de la chaine répressive.

Nous pensons par ailleurs que si l’objectif est de frapper le consommateur au portefeuille, une amende forfaire délictuelle de 200 euros n’est pas significative, il faudrait doubler l’amende.

Nous pensons également qu’il faut que la manne financière provenant de l’AFD ne soit pas noyée dans le budget général de l’État mais fléchée et répartie comme suit :

– pour moitié (50%) dans des campagnes nationales de sensibilisation aux risques liés à la consommation régulière de stupéfiants.

– la seconde moitié restante doit venir sous la forme d’une dotation d’équipement pour les forces de sécurité.

Enfin, l’État — qui veut faire de la lutte contre « l’ensauvagement de la société » sa priorité — ne doit pas tomber dans le piège de la dépénalisation, d’autant moins s’il veut reconquérir les fameux territoires perdus de la République[3]. Pour se faire et selon une approche subsidiariste, l’opinion publique doit elle-même s’emparer de cette volonté et les représentants de l’État l’incarner au travers de deux vertus : la force et la tempérance pour un retour de la confiance.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Cédric GRUNENWALD[4]

[1] Ramenée à 150 euros si elle est acquittée dans les 15 jours ou majorée à 450 euros en cas de retard de paiement
[2] Contravention de 135 euros. Art L3136-1 du code de santé publique
[3] L’exemple de Saint Ouen en Seine Saint Denis où des habitants ont passé un accord avec des dealers pour qu’ils assurent la tranquillité publique montre la faillite de notre système républicain.
[4] Associé gérant du programme ForTemps, cabinet qui développe ses activités autour de l’équation Sécurité = Force & Tempérance.


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« Le monde qui d’ordinaire nous est familier ne laisse aucune trace et il n’aura aucune commémoration. »

Relire cette citation du philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862), en cette période de confinement permet d’en goûter toute la saveur.

A l’heure où sont salués les soignants, les aidants, les caissières et manutentionnaires des supermarchés, des épiceries et les salariés des commerces de « première nécessité » on peut constater que le « monde familier » nous saute aux yeux.

En temps normal, ce monde-là laisse peu de traces dans la mémoire quotidienne. En temps normal, nous le croisons justement « par nécessité ». C’est un monde qui est toujours là ! Il est notre quotidien dans ce qu’il a de plus essentiel (se nourrir, se soigner…). Cette période a ceci de particulier qu’elle est tout autant révélatrice du « solide » qui nous entoure que de nos vulnérabilités individuelles et collectives.

Arrêtons-nous sur le « solide ». C’est grâce à ce « solide » que notre imaginaire va pouvoir se remettre à fonctionner. Afin que notre capacité d’imagination sorte de son anesthésie, il ne sera plus possible de remettre au lendemain l’examen de la réalité. Nous n’aurions jamais dû quitter le réel1 que certains considèrent à tort comme un mets trop ordinaire.

En regardant avec méfiance ce que nous n’aurions jamais dû quitter, (i-e le solide), nous sommes partis vers des horizons plus filandreux et liquides2 :

– le capitalisme anglo-saxon plutôt que le capitalisme rhénan;

– les flux mondiaux plutôt que les stocks territoriaux;

– la France des métropoles plutôt que l’alliance des provinces ;

– l’establishment mondial-parisien plutôt que les entrepreneurs territorialisés

– la consommation plutôt que la sobriété;

– la cigale plutôt que la fourmi;

– le snobisme de la novlangue plutôt que l’exactitude de la langue française

– les voyages low cost plutôt que la découverte des contrées nationales.

Il nous fallait bouger, nous adapter3 plutôt que de se « coltiner » le réel.

Le philosophe Bruce Bégout est de ceux qui croient que l’on peut encore réactiver la passion du réel non pas pour passer son temps « à disposer bien en vue sur sa table de travail, un échantillon de choses ordinaires »4 mais pour s’interroger sur ce qui semblait aller de soi et ne va plus.

Va-t-il de soi qu’une société suradministrée comme la nôtre rencontre autant de difficultés concernant ses stocks de masques et de matériel médical d’urgence ? Va-t-il de soi que « les collectivités locales comme les corps intermédiaires semblent tenir qu’un rôle secondaire au mieux instrumental : c’est à dire celui d’une simple courroie de transmission (…). Dans les faits, ces organisations tendent à s’affranchir des contraintes que voudraient leur imposer les services de l’État ; elles prennent leurs responsabilités, parfois au risque de se mettre dans l’illégalité ; mais leurs actions ne sont pas coordonnées avec les services de l’État »5

Comme le soulignent à juste titre les sociologues Borraz et Bergeron, « les initiatives qui émergent localement, et qu’il conviendra ensuite de recenser et d’analyser, démontrent l’existence de capacités nombreuses dans la société française sur lesquelles il faudra s’appuyer à l’avenir ».

Ces initiatives reprennent lien avec le fourmillement de toutes ces « actions libres » (c’est à dire les actions menées au nom de la subsidiarité) qui prennent vie depuis des années maintenant dans les provinces. Le réel de ces « actions libres » valorise le temps concret et solide. C’est ce réel qui va porter l’imaginaire des provinces qui fait tant défaut à la décentralisation.

N’oublions pas que le mot « subsidiarité » est issu de la racine latine – sub (sous) et sedere (être assis). Dans le langage militaire romain, les subsidiarii étaient les troupes de réserve qui ne servaient pas en temps normal mais constituaient un appoint en cas exceptionnel.

C’est à nous tous, subsidiarii, — troupes de réserve du monde familier — de commencer à imaginer le monde solide qu’il nous faut bâtir chaque jour.

Laurence Lemouzy

La rubrique Compte de faits, contes de fées : sous ce titre, l’Institut porte son regard sur…l’esprit des temps et des provinces

Notes

1.  Ici, un clin d’oeil à la réplique de Lino Ventura dans « Les tontons flingueurs »
2. V. Bauman Zygmunt, La vie liquide, trad. Christophe Rosson, Paris, Pluriel, 2013
3. V. Stiegler Barbara, « Il faut s’adapter »: sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, 2019.
4. Bégout Bruce, La découverte du quotidien, Paris, Éditions Allia, 2005.p.16
5. Borraz Olivier et Bergeron Henri, Covid-19 : impréparation et crise de l’État « , 31 mars 2020 https://aoc.media/

 


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La commune, un “pouvoir avec” et un lieu d’émotion

Le pouvoir d’une commune — comme de toute institution publique — est un « pouvoir avec » car la capacité à gouverner dépend de la capacité à se coordonner à d’autres qu’ils soient acteurs publics, économiques ou citoyens. Des liens plus que des lieux.

Parce qu’elle est le lieu de l’émotion (celle de la vie quotidienne avec ses bonheurs et ses déceptions), la commune sans doute l’espace le plus résistant au discrédit de la chose publique et celui où la transaction démocratique reste la plus vivante. 

Le maire sait que le quotidien est stratégique (le logement, les transports, la santé, l’éducation en particulier) et qu’en dépit des périmètres qui s’élargissent (ceux des intercommunalités et des régions), quelque chose résiste dans le « local ». Ce « quelque chose » est à relier au fait que la proximité (au sens de voisinage) est devenue une valeur en soi. 

Pierre Veltz parle d’un « virage actuel de nature principalement culturel »2 à travers un foisonnement de projets de toutes tailles dans le « local » sur fond de méfiance généralisée vis-à-vis du grand et du technocratique. 

2010-2019 : des changements administratifs, des mutations politiques et des turbulences sociales et démocratiques

Rien de nouveau, pourrait-on objecter ! Pas tout à fait car depuis ces derniers mois, le débat politique national est particulièrement, « liquide » donnant l’impression que nous ne sommes plus maîtres de nos destins. A contrario, une partie de la société française s’est agrippée aux ronds-points, estrades circulaires et solides, pour clamer ses émotions individuelles et collectives. 

Il est vrai que les codes ont changé lentement mais sûrement. 2010 – 2019 : presque une décennie qui nous a entraînés vers un changement plus profond que des ajustements. 

La séquence qui constitue la toile de fond de l’action publique aujourd’hui a débuté en 2010 avec l’adoption de la loi de réforme des collectivités territoriales, suivi de la réforme de la taxe professionnelle, puis en 2014 de la loi de Modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, de la loi portant Nouvelle organisation territoriale et de la République en 2015 : une séquence ponctuée par le changement de la carte régionale, l’élargissement des périmètres intercommunaux, la mise en œuvre des métropoles et celle des communes nouvelles. 

On a fait comme si ces réformes n’allaient pas impacter la « vraie vie » ; comme si ces lois étaient avant tout une affaire de spécialistes qui trituraient les catégories juridiques et les périmètres cartographiques sans incidence sur le quotidien des Français. 

Il est évident que ces réformes ont eu des effets à la fois géographiques, institutionnels et économiques. Mais pas seulement. Les Français ont vu d’autres effets se déployer sous leurs yeux : accroissement des déserts médicaux, effacement des services de l’État dans les zones rurales, baisse de l’investissement public, extension des temps de transport centre-périphérie, repli communautaire, etc… Le quotidien a été touché. Or le quotidien est stratégique. Il est même politique. 

Voir autrement l’action publique

Et si une des réponses s’appelait décentralisation politique ou fédéralisme assumé.

Car si la novlangue parle de « 3D », les provinces, les terroirs et les territoires se porteront mieux lorsque la sphère publique aura accompli sa propre réforme, lorsque les collectivités territoriales ne s’apparenteront plus à des sous-traitants du pouvoir dit “central”, lorsque la société française sera entrée mentalement dans une culture de la subsidiarité3

C’est bien parce que les pouvoirs locaux n’ont pas écrit leur propre récit4 que la décentralisation est restée au milieu du gué et qu’elle est dans une impasse.

L’imaginaire des territoires fait France. Il ne reste plus qu’à l’activer. Les citoyens l’ont déjà compris, les acteurs locaux le pressentent. Allons-y tous !

Laurence Lemouzy

La rubrique Compte de faits, contes de fées : sous ce titre, l’Institut porte son regard sur…l’esprit des temps et des provinces

Notes
1. Lundi 2 mars 2020 au Sénat, conférence, placée sous l’égide de l’Association des professionnels des affaires publiques (APAP), présidée par Laurent Mazille, autour d’Arnaud Bazin, sénateur du Val-d’Oise et Président du comité de déontologie parlementaire du Sénat ; Karine Goulet, Régions de France ; Laurence Lemouzy, IGTD et revue Pouvoirs Locaux ; Pascal Perrineau, (Sciences Po Paris) ; Nicolas Portier, ADCF et Bernard Sabanes, président d’Elabe. Débats animés par Vanessa Williot-Bertrand.

2. Pierre Veltz, « La France des territoires, défis et promesses », Editions de l’Aube, 2019

3. V. notamment « Les mots qui font société : Libertés locales, Subsidiarité, Réciprocité », 10è Edition des Entretiens de la Gouvernance Publique, le 28 octobre 2019, à l’Académie des sciences morales et politiques

4. V notamment Caillosse J., Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation: sur la question du territoire français, Paris, France, LGDJ-Lextenso éd., 2009, vol. 1/. et La constitution imaginaire de l’administration: recherches sur la politique du droit administratif, Paris, France, Presses universitaires de France, coll.« Les Voies du droit, ISSN 0766-6764 », 2008, vol. 1/.


 


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