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Définition de « se confiner » :

« être enfermé dans un lieu; se tenir dans d’étroites limites »1

 

Cette définition est source de désarroi. Peut-être faut-il davantage se dire que l’on se tient en retrait. Ce déplacement sémantique peut nous servir car si le confinement induit une forme de passivité, le retrait valorise la transformation de nos actions individuelles et collectives.

 

Pendant ce retrait, au fil des jours, le temps n’a plus la même saveur, nous entraînant à prendre conscience de ce que nous avons constamment sous les yeux mais que nous ne voyons plus, nous-même d’abord, nos proches et puis notre vie matérielle aussi.

 
Et pour reprendre les mots de François Julien, vont apparaître « les transformations silencieuses qui n’ont cessé de travailler »2 pendant que nous ne regardions plus l’essentiel. Cette période de pandémie donne un relief particulier à la pensée du philosophe — et sinologue — dont les réflexions ont notamment porté sur la notion de transition. « La transition, écrit-il, échappe à notre pensée… La Transition fait littéralement trou dans la pensée européenne, la réduisant au silence »3.

 

Dès lors comment penser ce qui nous arrive ?

Sommes-nous en train de connaître une transition, un passage, une bascule ? Qu’adviendra-t-il après dans nos comportements, notre vie sociale, notre économie ?

 
Suivons les pas de François Julien en relisant un passage du Parménide4. Selon Platon, soit je suis assis, soit je marche. Je ne peux pas faire les deux en même temps. Les deux temps de l’avant et de l’après sont séparés, étanches. « Mais entre les deux, que se passe-t-il ? »5.

 
Dans la pensée européenne, cet entre deux — que l’on nomme transition — est « hors du temps », difficile à saisir. Dans la pensée chinoise, cet entre deux se dit en deux mots « modification-continuation » (bian-tong). Dès lors, l’entre-deux est ce moment où une modification nous fait « bifurquer » et où une continuation « se poursuit ». « La modification innove, la continuation hérite », souligne François Jullien6.

 
Reprenons une image que le philosophe emprunte aux Arts littéraires de la Chine ancienne : nous sommes sur une barque. On lève un instant les avirons. « Tel est l’art de la transition »7. A l’heure où s’écrivent ces lignes, nos avirons sont levés. Lorsque les avirons affleureront à nouveau l’eau, que se passera-t-il ?

Déjà certains, ici et là, énoncent des évidences : il y aura un avant et un après.

Mais encore… Pour Bergson, nous regardons le changement mais « nous ne l’apercevons pas »8. Nous supposons des changements à venir mais il nous est difficile de les apercevoir car « notre intelligence morcelle, isole et stabilise…Essayons de la rééduquer »9.

 
Gardons confiance, même si nous sommes étonnés par ce soudain, par sa brutalité parce que nous n’avons pas toujours su percevoir les transformations silencieuses qui, insensiblement, nous y a conduit.

 
En ce moment, le temps dort avec nous. Notre vie se rapporte au temps qui s’égrène. Restons chez nous pour que le virus s’érode, pour que du potentiel revienne. Levons les avirons…et gageons que la gouvernance publique et politique de notre pays est en train de se transformer silencieusement !

 
Laurence Lemouzy

 

Notes

1. Selon Le Larousse
2. Jullien F., Les transformations silencieuses, Paris, Grasset, 2009.
3. Ibid. p. 26-27
4. Platon, Parménide, 155d-157a
5. Jullien F, op.cit, p.27
6. op.cit, p. 31
7. op.cit, p. 35
8. Bergson H., La Pensée et le mouvant, Paris, PUF, 1993, p; 1366
9. Jullien F, op.cit, p.54


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