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Nouvelle-Calédonie : un « caillou » dans le Pacifique



Le statut spécifique de la Nouvelle-Calédonie est issu d’un long processus historique. Les compétences sont réparties entre l’État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes.  Après trois référendums d’autodétermination qui ont rejeté l’accès à la pleine souveraineté, l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est toujours interrogé.

Dès 1999, Gérard Logié, membre du comité de réflexion pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, explorait dans nos colonnes les diverses étapes et perspectives vers la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie à la suite des « accords de Matignon ». [1]

Des accords de 1988 au référendum de 2021

Les accords de Matignon-Oudinot, signés en 1988, prévoyaient une période de dix ans de développement économique, social, culturel et institutionnel avant la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1998.

Le 5 mai 1998, un nouvel accord, l’accord de Nouméa, est signé entre l’État, les indépendantistes et les loyalistes. Il poursuit la revalorisation de la culture kanak (statut coutumier, langues…), crée de nouvelles institutions et prévoit un processus de transfert progressif et irréversible de compétences à la Nouvelle-Calédonie, dans l’attente d’un référendum d’autodétermination reporté au plus tard, à 2018.

À la suite de l’accord de Nouméa, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie[2] est promulguée (le titre XIII de la Constitution [3]est désormais consacré à la Nouvelle-Calédonie). La loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie précise son statut.

Entre 2018 et 2021, trois référendums d’autodétermination sont organisés en Nouvelle-Calédonie :

  • Un premier référendum d’autodétermination est organisé le 4 novembre 2018. La victoire du « non » ouvre la voie d’un nouveau référendum, car la loi de mars 1999 prévoit jusqu’à trois votes en cas de victoire du « non ».
  • Un deuxième référendum, organisé le 4 octobre 2020, donne à nouveau la victoire au « non ». Toutefois, le score est plus serré : alors que l’écart était supérieur à 13 points en 2018 (56,7% pour le non et 43,3% pour le oui), il est de moins de 7 points en 2020 (53,36% pour le non et 46,74% pour le oui). Le scrutin a mobilisé 85,69% des électeurs en 2020, contre 80,63% en 2018.
  • Le troisième et dernier référendum est organisé le 12 décembre 2021. Le « non » l’emporte avec 96,50% des voix. La participation à ce scrutin est de 43,87%, les indépendantistes ayant appelé au boycott.

Institutions et citoyenneté

L’État y est représenté par le haut-commissaire de la République.

La Nouvelle-Calédonie est divisée en trois provinces : la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté. Les provinces communes sont des collectivités territoriales. Chaque province possède une assemblée délibérante et dispose de représentant au Congrès. La loi reconnaît également des aires coutumières (subdivisions spéciales, parallèles aux subdivisions administratives de la Nouvelle-Calédonie, créées par la loi organique de mars 1999).

La loi institue une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Pour pouvoir voter aux élections des assemblées provinciales et du Congrès, il faut justifier d’au moins dix ans de résidence.

Les distorsions à l’origine de la restriction du corps électoral

Au départ d’ordre politique et démographique, ces distorsions apparaissent comme la manifestation du déséquilibre entre les composantes de la population et les enjeux politiques du pays. Sur le plan démographique, depuis la fin des années 1950, la population kanak est devenue minoritaire. Les raisons de cette évolution sont liées à une immigration voulue par la France, puis favorisée par le « boom du nickel » de la fin des années 1960. À l’arrivée de nombreuses familles pieds-noirs après l’indépendance de l’Algérie s’ajouteront des flux en provenance de la zone Pacifique et notamment de Wallis-et-Futuna. C’est ainsi que la population kanak est passée de 51,1% en 1056 à 46% en 1969. Le dernier recensement, prenant en compte les différentes ethnies, effectué en 1996, l’évalue à 44,1%.[4]

Sur le plan politique, des partis indépendantistes, comme le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) créé en 1984, vont se montrer hostiles à une telle immigration. Les masses de population étant numériquement assez faibles, le combat des indépendantistes devient plus difficile dès l’instant où les Kanak ne sont plus majoritaires, et la difficulté augmente mécaniquement à mesure de l’amplification du phénomène d’immigration.

Ces distorsions vont donc se trouver directement liées à la question de l’indépendance. Elles vont alors conduire les indépendantistes à revendiquer et obtenir la restriction du corps électoral dans le cadre d’un scrutin d’autodétermination. Toutefois, ce combat logiquement inscrit dans le schéma de l’accession à la pleine souveraineté, issu des accords de Matignon de 1988, aboutira, d’une manière plus originale, à l’acceptation d’une autre revendication : celle de l’extension de ce principe aux élections locales, plutôt inscrite ici dans une logique autonomiste, dans le cadre de l’accord de Nouméa de 1998.

La décentralisation issue de l’accord de Nouméa

La période allant de 1999 à ce jour a été marquée par la reterritorialisation de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci bénéficiant de la primauté au détriment des provinces. C’est en tout cas l’impression que l’on retire de la lecture de la loi organique du 19 mars 1999 qui traite de la Nouvelle-Calédonie avant les provinces et qui ne mentionne pas, à son article 2, les assemblées de province parmi les institutions de la Nouvelle-Calédonie, en méconnaissance du point 2 de l’accord de Nouméa, ce qui va conduire le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°99-410 DC du 15 mars 1999, à combler cette lacune.

Ce sont ensuite les transferts de compétence de l’État qui profitent principalement à la Nouvelle-Calédonie (droit civil, état civil, droit commercial, sécurité civile, enseignement des premier et second degrés…) avec un congrès formé d’une partie des membres des assemblées de province, élus cette fois-ci au suffrage universel restreint[5]. C’est la possibilité pour le congrès d’adopter des lois du pays ayant pleinement valeur législative et ce, même dans des matières de la compétence des provinces (régime du droit domanial, Code minier, régime des terres coutumières, fonction publique…). C’est la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer des impositions non seulement à son propre profit et à celui des provinces et communes, mais aussi au profit des groupements intercommunaux.

C’est la création d’un véritable exécutif pour la Nouvelle-Calédonie, élu par le congrès à la proportionnelle. Toutefois, cette reterritorialisation n’a pas donné les effets escomptés puisque, de l’avis général, le consensus n’a pas fonctionné : 17 gouvernements en vingt ans, dont certains ont mis plusieurs mois pour entrer en fonction.

Après les trois consultations ayant toutes conclues au refus de l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et malgré une contestation de la troisième sur un plan plus politique que juridique[6], la situation qui se présente est clairement fixée, dans son principe, par le point 5 des orientations de l’Accord de Nouméa qui ont valeur constitutionnelle : si la réponse est encore négative à l’issue des trois consultations, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique, mise en place par l’accord de 1998, restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

Il revient donc aux partenaires politiques, sans remettre en cause le droit à l’indépendance, de discuter de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en envisageant, le cas échéant, une sorte de fédéralisme à la calédonienne à l’intérieur de la France et peut-être même à l’intérieur de la Nouvelle-Calédonie.

Une réforme constitutionnelle met le feu aux poudres

La commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté mardi 7 mai 2024 le projet de loi modifiant le corps électoral pour les élections provinciales de fin 2024. Le texte a été soumis au vote en séance le lundi 13 mai 2024. Les députés ont adopté le texte, contesté par les indépendantistes, qui élargit le corps électoral propre au scrutin provincial de la Nouvelle-Calédonie. Faute d’accord entre indépendantistes et loyalistes, le Congrès se réunira « avant la fin juin » pour voter la réforme, a déclaré, Emmanuel Macron, le mercredi 15 mai 2024.

Depuis cette dernière date, la Nouvelle-Calédonie traverse une période troubles marqués par des manifestations violentes et des émeutes. La situation a débuté avec des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, entraînant des dégâts importants et des pertes humaines. A cette date, sept personnes dont deux gendarmes ont perdu la vie et plusieurs ont été grièvement blessées.

Les violences ont été déclenchées par des tensions autour de questions politiques et sociales, notamment liées aux réformes du corps électoral et aux revendications indépendantistes. Ces tensions se sont exacerbées au fil des jours, menant à des scènes de chaos avec des pillages et des incendies dans certaines régions, notamment à Nouméa.

En réponse à cette crise, le Président Emmanuel Macron a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale et a exprimé sa solidarité avec les Calédoniens. Il a insisté sur la nécessité de rétablir l’ordre républicain et a proposé de relancer le dialogue politique en invitant les représentants calédoniens à Paris pour des discussions. Un été d’urgence a été déclaré pour renforcer la sécurité et contrôler les violences. Il a été levé après 12 jours alors que le calme revient progressivement sur l’archipel.

En parallèle, le gouvernement français a déployé des forces supplémentaires pour soutenir les efforts de maintien de l’ordre sur le territoire. La situation reste tendue, et les autorités continuent à travailler à un apaisement durable des tensions.

Pierre-Nicolas KRIMIANIS

Bibliographie :

Clinchamps, Nicolas. « Distorsions et corps électoraux en Nouvelle-Calédonie ». Pouvoirs 127, no 4 (2008): 151‑65. https://doi.org/10.3917/pouv.127.0151.

Franceinfo. « Nouvelle-Calédonie : l’état d’urgence levé après douze jours, le calme revient progressivement sur l’archipel », 27 mai 2024. https://www.francetvinfo.fr/france/nouvelle-caledonie/nouvelle-caledonie-l-etat-d-urgence-sera-leve-mardi-matin-dans-l-archipel-annonce-l-elysee_6568016.html.

Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. « Un peu d’histoire », 4 avril 2016. https://gouv.nc/gouvernement-et-institutions/un-peu-d-histoire.

ina.fr. « La spécificité des électeurs calédoniens | INA ». Consulté le 27 mai 2024. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/nouvelle-caledonie-elections-provinciales-corps-electoral-accord-de-noumea-electeurs.

« La décentralisation et l’outre-mer | Conseil constitutionnel ». Consulté le 28 mai 2024. https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-decentralisation-et-l-outre-mer.

Le Monde.fr. « Nouvelle-Calédonie : l’Assemblée nationale vote la réforme constitutionnelle, après une nuit de tensions sur l’archipel ». 15 mai 2024. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/15/nouvelle-caledonie-l-assemblee-nationale-vote-la-reforme-constitutionnelle-apres-une-nuit-de-tensions-sur-l-ile_6233275_823448.html.

« Le statut de la Nouvelle-Calédonie| vie-publique.fr », 6 février 2023. https://www.vie-publique.fr/fiches/20236-le-statut-de-la-nouvelle-caledonie.


[1] LOGIE, Gérard. « Nouvelle-Calédonie : les chemins de la souveraineté ». Pouvoirs Locaux. Pouvoirs Locaux, numéro 41, juin 1999. https://www.revuepouvoirslocaux.fr/fr/article/nouvelle-caledonie-les-chemins-de-la-souverainete-1371.

[2] « Les lois constitutionnelles sur la Nouvelle-Calédonie | vie-publique.fr », 30 juillet 2019. https://www.vie-publique.fr/eclairage/268328-les-lois-constitutionnelles-sur-la-nouvelle-caledonie.

[3] Constitution du 4 octobre 1958 (s. d.). Consulté le 29 mai 2024.

[4] Alain Christnacht, La Nouvelle-Calédonie, La Documentation française, 2004, p.29.

[5] En 2007 et comme le réclamaient les partis indépendantistes, le constituant a désavoué le Conseil constitutionnel qui avait considéré, en 1999, que la condition de dix ans de résidence conduisait à un corps électoral glissant.

[6] Par décision du 3 juin 2022, le Conseil d’État a rejeté les protestations dirigées contre les résultats de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.


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