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Les prochaines élections régionales auxquelles nous sommes appelés dans moins de 5 semaines revêtiront une importance nouvelle et particulière au moins à trois égards.

D’abord, et parce que ce sont des élections territoriales, elles concerneront au plus près nos concitoyens à travers le développement économique et l’accompagnement des entreprises, l’emploi, l’apprentissage et la formation professionnelle, l’Université et la Recherche. De même elles toucheront nos déplacements quotidiens avec les TER, les transports routiers, comme certains équipements à vocation touristique et culturelle…

C’est d’abord sur ces sujets que les prochains élus régionaux devront se pencher, choisir et arbitrer entre les attentes des métropoles, des villes moyennes, des communautés et communes rurales, car on l’ignore trop souvent : entre l’Etat impécunieux et les départements de plus en plus chargés par les dépenses sociales, les Régions sont désormais en première ligne pour ne pas laisser à l’abandon les territoires les plus fragiles.

En second lieu, les élections régionales auront fatalement une dimension politique nationale, d’autant plus forte qu’elles se dérouleront sur les 2/3 du territoire dans un cadre géographique élargi et quelque peu bouleversé.

Si, en effet, nous avons pu sauver et maintenir les Pays de Loire (qui étaient menacés de démembrement), hormis la Bretagne, le Centre, PACA, la Corse et, curieusement,  l’Ile de France, les autres régions ont vu leur périmètre considérablement agrandi, à l’image de l’Aquitaine-Poitou-Charente-Limousin, Rhône-Alpes-Auvergne ou Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes…

Cela aura au moins deux conséquences : l’éloignement des élus risque fort d’accroitre le poids des « étiquettes » politiques au détriment de l’ancrage territorial des candidats ; la gestion des Régions et leur relation aux départements sera certainement plus lourde et plus compliquée.

Troisième aspect au moins aussi important : les Régions ont hérité de la gestion des fonds territoriaux européens. Ce ne sera pas leur moindre responsabilité que d’entretenir avec les services de Bruxelles des relations étroites et  confiantes qui conditionneront le bon usage de ces fonds.

C’est l’occasion, là aussi, de le rappeler : l’avenir de notre pays et de nos territoires est également européen. Ne craignons pas de le réaffirmer.

 

                                                                                                                              Michel Piron

Député du Maine-et-Loire

co-président de l’Institut

site de Michel Piron


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Les deux faces d’une même exigence

 

Nancy – 18 Novembre 2015. Le temps est doux. Rendez-vous est donné au Lycée Henri Poincaré qui organise un forum d’orientation Métiers et Grandes Ecoles. Une intervention est programmée devant des élèves de classes préparatoires sur les métiers de l’Engagement. Côté rue, sur le muret qui borde le lycée, plusieurs tags qui scandent le même message : « Génération Bataclan » !

Dans la préparation de cette conférence, j’ai choisi délibérément de sensibiliser ce panel de jeunes au fait que leur futur parcours professionnel sera d’autant plus réussi qu’ils auront été capables de concilier leurs « envies » (leurs like au sens Facebook), à une activité à laquelle ils donneront du sens.

Comment conduire des jeunes gens de 18 ans à découvrir qu’un métier ne se limite pas seulement à un « job » ? qu’une orientation n’est pas par défaut ou par mimétisme social ? qu’un emploi ne se réduit pas à une fonction alimentaire ? Que l’on peut s’y épanouir et y développer du sens autant que dans sa vie privée, celle des loisirs et/ou familiale ?

Défi 1 : décloisonner les blocages public/privé. Lorsque sont évoqués les métiers de la sphère publique, mon auditoire — comme les générations précédentes — pense « fonction publique », « administration », « concours ». Il faut alors les conduire à changer de perspective. Qui participe à la décision publique ? Comment fonctionne notre société ? Le vivre-ensemble est-il seulement l’affaire des agents publics ? Le service public a t-il pour seul opérateur les fonctionnaires ? En quoi une entreprise participe t-elle à la société ? Comment le secteur associatif devient–il un des opérateurs engagés dans le vivre-ensemble ?

Alors que nos mœurs n’ont jamais été aussi pluriels, nos mobilités aussi ouvertes, le monde si présent à portée d’objets connectés, l’organisation sociale continue d’être perçue de façon très binaire entre institutions publiques et secteur privé. D’un côté les fonctionnaires, de l’autre le monde économique. Deux mondes étanches. Le premier qui instruit des procédures. Le second qui fait du business.

Défi 2 : participer à reconstruire de nouveaux marqueurs. Souvent, dans le cadre de mes activités d’enseignement, je constate que bien que l’instruction civique soit inscrite aux programmes, la jeunesse patine « à faire société » car elle ne sait pas comment « faire société ». Ce sentiment est d’autant plus dérangeant que dans l’espace de la vie des loisirs (au demeurant souvent dénommée la « vraie vie » !), les jeunes fonctionnent souvent en communautés d’affinités pour les plaisirs, les lieux de vie). L’arsenal virtuel les y aide. En revanche, ils ne savent pas comment faire pour « vivre ensemble » au-delà du périmètre de la famille et des amis.

Manifestement, il ne suffit pas d’évoquer de manière permanente au collège ou au lycée la laïcité ou les principes républicains pour considérer qu’ainsi la mécanique complexe qui conduit à une vie en société harmonieuse, suffirait.

Suggestion et proposition

Comment fonctionnent les services publics ? En quoi une entreprise a t-elle une responsabilité sociale ? Comment le secteur non marchand remplit-il des missions de service public ? Qu’est-ce qu’une politique publique ? Comment s’élabore la loi ? Qui intervient dans le processus décisionnel ?

Autant de questions dont les réponses devraient être enseignées dans le parcours de tout jeune ?

A titre d’exemple, alors que l’on est capable en 48 heures de diffuser à des enseignants des supports pédagogiques pour échanger avec les élèves sur les tragiques évènements récents, pourquoi ne pas avoir le même réflexe pédagogique dans le cadre de sujets citoyens comme la modification de la carte régionale. Dommage ! Une occasion manquée de les aider à « faire société ».

Toute génération a besoin de sens. Ceci nécessite sans doute de prendre de la hauteur (et non du recul !). Les adultes et particulièrement les responsables aux commandes doivent donner à comprendre les interdépendances qui lient les acteurs de la société. C’est aussi donner aux futurs décideurs — dont certains de mon public — la possibilité de s’engager dans un voie professionnelle en comprenant le sens de leur investissement personnel et de mesurer ce qu’il apporteront demain à la société.

Au final, ils veulent être utiles. Montrons comment ils peuvent l’être, quelle que soit l’orientation qui sera la leur. Redonnons de « l’épaisseur » à l’engagement professionnel. Aidons-les à se lancer en société ! C’est aussi une question de bonne gouvernance nationale.

 

Laurence Lemouzy

 


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Conformément à sa double vocation de laboratoire d’idées et de bureau d’expertise, l’Institut a profité de la 6ème édition des Entretiens de la Gouvernance Publique (EGP), pour présenter les résultats du sondage commandé à TNS SOFRES, en partenariat avec L’EXPRESS.

A la veille des élections régionales et peu de temps après la promulgation du dernier volet de la réforme territoriale le 7 août 2015, le thème de ce sondage était :

« Les Français et le nouveau paysage territorial »

Le temps était venu d’interroger les citoyens et de recueillir leurs avis et ressentis en cette période de changements.

De manière générale, les résultats permettent de décrypter les attentes des Français, d’orienter les prochains axes des travaux de l’Institut et par voie de conséquence d’éclairer les prochains débats publics, le principal d’entre eux étant la Présidentielle 2017.

 ♦   VOIR LE DECRYPTAGE IGTD  

 Voir le sondage intégral 


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La « fabrique » de la loi serait-elle en panne ? Voilà que l’actualité n’hésite plus à faire état des lenteurs, parfois lourdeurs, du temps législatif[1]. L’esprit des temps impose à l’appareil législatif de garantir le maintien simultané de deux critères :

  • la célérité, c’est-à-dire l’élaboration, la discussion, le vote sans oublier la promulgation de la loi dans un délai raisonnable,
  • l’effectivité, c’est-à dire l’assurance de la mise en application.

Or, notre organisation parlementaire repose sur un bicamérisme « inégalitaire »[2], (l’Assemblée nationale disposant de pouvoirs plus étendus que ceux du Sénat). Bien qu’elles disposent d’une représentation et de missions différentes, elles concourent conjointement à l’élaboration et au vote de la loi. En effet, l’élaboration de la loi est de la compétence conjointe et simultanée de chaque assemblée. Dans ce contexte, et sans prise en considération de l’objet de la loi, la « navette » parlementaire emprunte des routes à vitesse limitée.

Les tentatives d’accélération du temps législatif
La prise de conscience de cette réalité n’est pas récente. En 2008, François Fillon, Premier ministre, avait informé, dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, que « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». De cet acte, une forme d’obligation de résultats engageait ses ministres. En effet, la circulaire prévoyait, et le prévoit toujours, la publication tous les 6 mois sur le site www.legifrance.gouv.fr des bilans de l’application des lois. Le dernier bilan en ligne (au 30 juin 2015) fait état que seul 70% des décrets d’application ont été effectifs et publiés par le gouvernement. Le calcul est rapide, 30% des textes de lois sont encore dans l’attente de publication, et restent donc inapplicables. Les raisons de cette attente sont diverses, comme l’explique Philippe Bas, président de la Commission des lois du Sénat, « lorsque la publication des décrets se fait attendre, c’est en général que le compromis politique qui a été trouvé n’est pas applicables dans les faits. […]. Il arrive aussi que des décrets ne soient pas pris pour des questions de budget ».[3]

Depuis cette circulaire, la problématique reste inchangée et le temps législatif et son application demeurent longs. Sans doute, contrebalancer cette tendance est devenu un enjeu majeur. Le Président de la République François Hollande a, quant à lui, fait le choix d’un classement officieux de ses ministres.[4] Tous les moyens semblent permis mais lesquels fonctionnent ?

Comment passer d’un bicamérisme inégalitaire à un parlementarisme différencié ?
Les exigences du temps démocratique doivent inciter le législateur à la nécessité de réduire le temps de travail législatif. Une des réponses possibles pourrait se trouver dans la révision de la procédure législative et surtout dans les rôles respectifs des deux chambres. Comme il a été rappelé ci-dessus, le bicamérisme français est inégalitaire du fait de la prédominance d’une chambre sur l’autre. Dès lors, les chambres ne pourraient-elles pas disposer de compétences spécialisées en fonction de l’objet du texte de loi ? La « navette » parlementaire se verrait allégée de contraintes procédurales et libérée en vue de renforcer l’étape de mise en application de la loi.

Cette question de la différenciation parlementaire n’est pas spécifique à la France. En juillet 2014, le Président du Conseil des ministres italien a engagé une réforme constitutionnelle prévoyant, notamment, une refonte du Sénat. Cette réforme vise à répartir les rôles entre les deux chambres (Chambres de députés et Sénat). Plus précisément, le Sénat disposera d’une mission consultative en lieu et place de son rôle exécutif. Le bicamérisme « parfait » était, selon les auteurs de la réforme, source de pesanteurs politiques et d’une profonde inertie. Par ailleurs, dans sa nouvelle version, le Sénat recompose ses rangs limités à 100 membres (conseillers régionaux, maires et personnalités désignées par le Président de la République) contre 321 précédemment. Cette réforme s’inscrit aussi dans une recherche de réduction des dépenses puisqu’elle prévoit l’absence de rémunération des sénateurs. En l’état, en lecture devant le Parlement depuis 2014, le texte de loi est revenu en lecture au Palazzo Madama (siège du Sénat) en septembre 2015 [5] et a été adopté par le Sénat mardi 13 octobre 2015.

Dans cet élan, doucement mais surement, l’idée d’une réforme émerge en France. L’inconnu réside quant à son intitulé : constitutionnelle, institutionnelle… et les ambitions des deux chambres semblent déjà diverger. Comme en témoigne le récent témoignage de Gérard Larcher, président du Sénat, pour qui les objectifs d’une réforme seraient de « renforcer la participation aux travaux sénatoriaux, légiférer et contrôler plus efficacement, garantir la transparence financière et une gestion exigeante ».[6] A l’inverse, Claude Bartolone admet la lenteur de l’appareil législatif et va jusqu’à proposer « une révision constitutionnelle […] parallèlement je souhaite que nous ayons une réflexion sur nos institutions.»[7]

Le sujet de la différenciation parlementaire comme outil de fluidification du processus législatif est à présent ouvert. Les indicateurs nationaux et européens témoignent que le temps de la décision prévaut sur le maintien de configurations ayant vécu.

Alain-Joseph Poulet

Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr

                                                                                                                                                                 

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[1] Hélène Bekmezian, « Ces lois qui restent encalminées », Le Monde, 5 août 2015.
[2] Assemblée nationale, « Fiche de synthèse n°4 : L’Assemblée nationale et le Sénat – Caractères généraux du Parlement », consultée le 24 août 2015, disponible sur http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-institutions-francaises-generalites/l-assemblee-nationale-et-le-senat-caracteres-generaux-du-parlement
[3] Hélène Bekmezian interview de Philippe Basfustige « l’incroyable obésité » des textes, Le Monde, 5 août 2015
[4] Marc de Boni, « François Hollande fait classer les performances de ses ministres », Le Figaro, 26 juin 2015
[5] Reuters Italia, « Riforma Costituzione, emendamenti minoranza Pd su nuovo Senato », consultée le 24 août 2015, disponible sur http://it.reuters.com/article/topNews/idITKCN0QC1HU20150807?pageNumber=1&virtualBrandChannel=0
[6] Sophie Huet, « Larcher propose une réforme du Sénat », Le Figaro, 12 mars 2015
[7] Hélène Bekmezian, interview avec Claude Bartolone, « Le président doit pouvoir débattre avec les parlementaires », Le Monde, 5 août 2015.

 


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La majorité issue des élections de 2012, aux commandes de l’Etat, des régions, de la plupart des départements jusqu’en mars 2015, de presque toutes les grandes villes, avait tout à la fois — une chance historique— elle ne pouvait être accusée de poursuivre des objectifs partisans en concevant et enclenchant une vraie réforme territoriale, contrairement à la loi de décembre 2010 — et une responsabilité devant l’Histoire — celle d’achever la mutation démocratique et institutionnelle amorcée en 1982.

Or, que s’est-il passé depuis ? Contrairement aux déclarations présidentielles d’octobre 2013, comme aux intentions affichées par l’actuel Premier ministre il y a un an, les textes de réforme successivement élaborés, raturés, adoptés ou retirés (le projet de loi de la ministre chargée de la décentralisation — ultérieurement sectionné en trois tronçons —, la loi sur les métropoles, celle relative à la nouvelle carte régionale, enfin l’actuel projet de loi Notre) ont progressivement tout à la fois vidé la réforme territoriale tant attendue de ses vraies finalités comme de ses correctes modalités et complexifié le dispositif institutionnel comme les mécanismes fonctionnels.

Loin de s’attaquer aux problèmes structurels — inexistence du couple Etat-région, absence de pouvoir architecteur et régulateur au niveau régional, inutilité des départements urbains, foisonnement des entités communales et intercommunales — ces différents textes ont proposé ou adopté de fausses solutions —, sauf en ce qui concerne la fin du cumul des mandats en 2017 et l’éventuelle disparition de la clause de compétence générale.

Ce faisant, leur entrée en vigueur, ne manque pas de créer de nouveaux problèmes : conflits métropoles-départements ou métropoles-conseils de territoires, gestion de trop vastes régions — la « taille européenne » de celles-ci n’étant qu’un mythe sans réalité et sans efficacité.

On répliquera : les gouvernements précédents, eux, n’ont quasiment rien fait depuis 30 ans sauf accroître les charges transférées.

Certes, mais cette inertie laissent l’avenir entièrement ouvert et il était possible d’espérer qu’un jour une véritable restructuration des pouvoirs publics serait réalisée et une véritable réforme de l’Etat décidée.

Car le plus grave de la présente situation est là : les choix effectués ou les refus de choisir (intercommunalité polycentrique, carte régionale, restauration notabiliaire des départements — doté de surcroît d’un personnel politique rénové —, absence de pouvoir règlementaire de niveau régional) ne peuvent que bloquer et entraver toute réforme d’envergure.

D’expédients en expédients, la France chemine lentement et cahin-caha vers une modernité territoriale sans cesse différée, à l’inverse du processus adopté par tous ses voisins.

B. R


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Comme l’illustre le visa du Code général des collectivités locales qui accompagne le décret, la déconcentration contemporaine s’est définie d’abord au regard, voire en symétrie de la décentralisation. La charte de 2015 ne rompt pas avec cette réalité. Chaque « avancée » de la déconcentration a correspondu à la nécessité pour l’État de conforter et de réorganiser ses services territoriaux suite à un « choc » de décentralisation. On a pu le constater en 1992, alors que les lois de décentralisation de 82 commençaient à produire tous leurs effets, puis lorsque les transferts massifs de compétences issus de la loi du 13 août 2004 ont conduit inéluctablement à une profonde ré-ingénierie des services déconcentrés, d’abord par le décret du 29 avril 2004 (modifié en 2010), ensuite dans le décret « REATE » de 2009 relatif aux directions interministérielles, repris en visa dans la nouvelle charte. Certes, le terme de choc peut paraître excessif, s’agissant des développements récents de la décentralisation. Pour autant, ne doit pas être sous-estimé l’impact sur l’État déconcentré de deux décisions majeures, la nouvelle carte des régions (loi du 16 janvier 2015) et le transfert de la gestion des fonds européen des préfets de région (SGAR) aux régions (loi MAPTAM du 27 janvier et décret du 3 juin 2014). Il n’est pas indifférent que l’article définissant les missions de l’échelon régional se soit étoffé d’une charte à l’autre et que les préfets de région dominent à l’égal des secrétaires généraux des ministères la nouvelle conférence nationale de l’administration territoriale de l’État (CNATE). Face aux puissants présidents des « grandes régions » et de certaines métropoles, l’État tente de donner aux préfets concernés plus que du pouvoir, de l’influence. Mais il est vrai que dans ce paysage définitivement asymétrique, c’est son propre mode d’appréhension des territoires que l’État, sous impératif financier, doit interroger. Le décret du 7 mai s’essaye à redéfinir, à réaffirmer, à recomposer la déconcentration tout en faisant preuve dans la réalité du texte publié d’une prudence remarquée.

Une approche clarifiée de la déconcentration
L’introduction par la loi du 6 février 1992 du principe de subsidiarité avait conduit les auteurs de la charte à définir de manière sibylline la déconcentration comme « la règle générale de répartition des attributions et des moyens entre les échelons centraux et territoriaux des administrations civiles de l’État ». Même si cette rédaction est reprise pour ordre dans la charte de 2015 à l’alinéa 2 de l’article premier, la déconcentration fait l’objet d’un essai de définition inédit et bienvenu : « La déconcentration consiste à confier aux échelons territoriaux des administrations civiles de l’État le pouvoir, les moyens et la capacité d’initiative pour animer, coordonner et mettre en œuvre les politiques publiques définies au niveau national et européen, dans un objectif d’efficience, de modernisation, de simplification, d’équité des territoires et de proximité avec les usagers et les acteurs locaux. » On trouve dans ce premier alinéa, comme dans plusieurs autres articles, l’affirmation d’une coproduction entre les diffé- rents niveaux de décision de l’État, aux antipodes d’une subsidiarité abstraite et inopérante. Le changement de perspective qui s’esquisse rend crédible, à terme, le découplage partiel entre une déconcentration ainsi « recentrée » et une décentralisation ouverte à la diffé- renciation territoriale.

Si l’objectif pluriel assigné à la déconcentration s’inscrit naturellement dans l’esprit de la modernisation de l’action publique (MAP), « l’efficience » apparaît en tête des préoccupations d’un État qui comprend 90 % de ses effectifs dans les services territoriaux. L’esprit de la REATE est ici parfaitement intégré. Les préfets sont donc invités à intensifier les mutualisations entre services déconcentrés ou à confier si nécessaire à l’un d’eux une mission pour le compte d’un autre. Et le regroupement de programmes budgétaires (ministériels) qui comportent des BOP locaux peut être envisagé dès lors qu’il repose sur un besoin de rationalisation partagé entre l’administration centrale concernée et le préfet de région.

Dans un tel contexte, la mention de la « proximité avec les usagers » s’avère tout à la fois porteuse de sens, car elle parle aux agents du service public, et porteuse d’exigence, dès lors qu’elle implique une profonde et urgente transformation des organisations à l’aune de la dématérialisation des procédures comme de la fragmentation sociale et territoriale du pays. La deuxième tentative de clarification du décret consiste à insérer dans le processus de déconcentration ceux des opérateurs de l’État qui disposent « d’une représentation territoriale ou qui concourent à la mise en œuvre des politiques publiques au niveau territorial ». Ayant mis en exergue dès le 3e alinéa de son article premier que la déconcentration impliquait « l’action coordonnée de l’ensemble des services déconcentrés et des services territoriaux des établissements publics de l’État », la charte consacre un long article 15 à la manière de garantir concrètement l’unité de l’action de l’État dans les territoires. On peut y déceler une réponse aux observations de la Cour des Comptes concernant les opérateurs, notamment dans son rapport de juillet 2013 sur l’organisation territoriale de l’État. Le préfet se voit ainsi reconnaître – dans certains cas – un droit de regard sur la nomination et l’évaluation du responsable territorial de l’opérateur, voire celui de désigner un membre du corps préfectoral pour remplir cette fonction.

La troisième contribution originale à la clarification de la déconcentration réside dans la création de la CNATE qui tranche par rapport aux habituels comités ou conseils de deux manières : d’une part, dans son objet qui est de veiller collectivement à l’articulation des politiques publiques entre administrations centrales, services à compétence nationale et services déconcentrés ; d’autre part, de par sa vocation à évaluer annuellement la cohérence mais aussi la dynamique des actions conduites en bonne intelligence par les préfets de région et les secrétaires généraux de ministère. Il sera pertinent de suivre le destin de cette Conférence d’un nouveau type à laquelle l’État confie en quelque sorte le rôle de garant de la coproduction entre le central et le territorial.

Une audace à peine entrevue
Il eût été logique d’ajouter à la liste des apports de la charte de 2015, cette innovation majeure que représente la possibilité pour le préfet de région de déroger « aux règles fixées par les décrets relatifs à l’organisation et aux missions des services déconcentrés de l’État » (art. 16). Mais la lecture comparée du décret paru le 7 mai et du projet de charte diffusé dans la presse trois semaines auparavant conduit plutôt à classer ce droit à l’expérimentation déconcentrée dans le chapitre des occasions manquées signifiantes.

En effet, le projet qui devait être soumis au Conseil des Ministres du 22 avril permettait au préfet de région de proposer des expérimentations pour l’ensemble des services déconcentrés, à l’exception des organismes ou missions à caractère juridictionnel et des actions d’inspection de la législation du travail (art. 32 et article 33 I 2° du décret de 2004). Or, le texte définitif exclut de ce dispositif tous les services et missions énumérés à l’article 33 dudit décret, à savoir l’Éducation nationale, l’INSEE, l’essentiel de la DGFiP et de la Douane, les Agences Régionales de Santé. Un « cavalier réglementaire » (art. 19) a été introduit in fine dans le chapitre « Disposition diverses », qui dévalue les ambitions novatrices de la charte en matière d’expérimentation, mais aussi de mutualisation et de rationalisation ou de mise à disposition des moyens. Paradoxalement, le texte ainsi amputé exprime désormais plus d’exigence pour des opérateurs à statut autonome que pour certains services ministériels déconcentrés.

Ajoutons que ne s’applique plus aux administrations exemptées l’article 18 du décret, qui donne mission à la CNATE de veiller « à la bonne articulation des relations entre les administrations centrales et les services déconcentrés et au respect des principes de déconcentration fixés par le présent décret ». L’écart crucial entre les deux versions résulte selon les observateurs de discussions et amendements énoncés lors du Conseil supérieur de la Fonction publique de l’État qui s’est tenu le 27 avril 2015.

L’autre prudence de la charte se manifeste par l’absence de toute perspective concernant le cadre d’action infrarégional des services déconcentrés. Autant le texte détaille avec un grand soin des compétences régionales substantielles (art. 5), confirmant la volonté de l’État d’af- ficher des préfets de région plus forts face à des collectivités plus puissantes, autant sont abordés de manière minimaliste les rôles assignés à la circonscription départementale (« échelon de mise en œuvre des politiques nationales et de l’Union », art. 6) et à l’arrondissement (« cadre territorial de l’animation du développement local et de l’action administrative locale de l’État », art. 7). On comprend que ce décret n’a pas vocation aujourd’hui à dessiner les territoires de la déconcentration de demain et qu’il se rattache à titre conservatoire au schéma préfectoral stabilisé depuis la IIIe République. On peut noter malicieusement qu’aurait dû figurer dans les visas de la charte le décret du 5 novembre 1926 de décentralisation et de déconcentration administrative, dont le titre III – art. 54, toujours en vigueur, définit les compétences générales du sous-préfet d’arrondissement.

 Un texte de transition?
De par le contexte de son élaboration qui s’apparente à un acte manqué, la charte de la déconcentration de 2015 constituera certainement un cas d’école pour les spécialistes de sciences politiques. De par son caractère non abouti et ses déséquilibres, elle figurera sans doute comme un sujet de perplexité durable pour les juristes.

Aux acteurs du périmètre REATE, et d’abord au corps préfectoral, en lien avec les administrations centrales concernées, de se saisir de ses potentialités pour innover, mutualiser, expérimenter, bref pour démontrer que ce décret du 7 mai peut être autre chose qu’un texte de transition.

 

B. N.


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