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L’esprit militant de la décentralisation



Par Jean-Pierre Balligand, président de l’Institut de la Gouvernance Territoriale

Le 6 janvier 2020, Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, lançait à Arras le processus de consultation territorialisé qui doit nourrir le projet de loi « décentralisation, différenciation, déconcentration » (3D) dans la perspective d’une présentation au conseil des ministres à la fin du premier semestre 2020. À cette occasion, la ministre a relié sa feuille de route aux annonces faites par le président de la République, lors du Congrès des maires, le 19 novembre 2019, à savoir que « la décentralisation devait s’assortir d’une logique d’efficacité dans la répartition des compétences, de lisibilité de l’action publique et d’une clarification des responsabilités fiscales ».

Sur le premier « D », le gouvernement souhaite « parfaire la décentralisation (…) dans les secteurs prioritaires du logement, des mobilités et de la transition écologique » ; prévoir « une dévolution du pouvoir réglementaire dans le champ des compétences déjà transférées ou susceptibles de le devenir » et développer « l’outil contractuel, la délégation de compétence et la participation à la gouvernance ». En matière de différenciation, il est question de promouvoir la différenciation sans attendre la révision constitutionnelle afin que « lorsqu’une spécificité objective le justifie, le droit puisse être adapté aux particularités du territoire national ». Par ailleurs, le gouvernement envisage « d’assouplir les conditions d’entrée dans les expérimentations locales et de renforcer l’accompagnement des collectivités territoriales dans leur conduite ». « Enfin, l’État devra poursuivre sa transformation par un vaste mouvement de déconcentration », écrit Jacqueline Gourault dans une lettre destinée aux Préfets du 13 décembre 2019.

Les actions annoncées s’apparentent peu sur le fond à un « vaste mouvement » tant elles font écho à des mesures déjà dévoilées courant 2019 : plans de relocalisation de certaines administrations hors de Paris et des grandes métropoles régionales ; déploiement du réseau France Services et de la nouvelle ANCT (Agence nationale de cohésion territoriale) qui a vu le jour le 1er janvier 2020 par un appui d’ingénierie personnalisé aux porteurs de projet.

Projet de loi « 3D », gare à l’illusion d’optique

S’engageant en 1982 dans la voie de la décentralisation, nous nous sommes arrêtés à mi-gué. Trente-huit ans après, ce qui mérite le plus d’attention dans cette affaire consiste en la différenciation. Une certaine autonomie normative des collectivités territoriale — que contient l’idée de différenciation — serait une chance pour la France et non un risque pour l’application du principe républicain d’égalité entre les citoyens même si vigilance il convient de garder. Cette évolution est logique, parce que seule elle permet de faire coïncider la théorie et la pratique de la décentralisation. Logique, parce qu’elle permet de répartir clairement les responsabilités politiques entre le niveau national et le niveau territorial. Logique, parce qu’elle permet de respecter des principes qui ne sont qu’en apparence contradictoires, l’égalité de traitement et la diversité des approches. Cependant, pour que l’affaire réussisse, il n’est pas inutile de rappeler qu’en matière de décentralisation, toute ambition implique une volonté politique forte d’aggiornamento. Et cette volonté, les élus territoriaux doivent les premiers en faire la preuve.

Renouer avec l’esprit militant de la décentralisation !

Sans doute faut-il que les égoïsmes territoriaux, les logiques de pouvoir, la morgue — même involontaire — des uns et des autres, les conservatismes de tous poils, s’effacent au bénéfice d’un processus de véritable dialogue. Du côté des élus locaux, il est temps de se faire confiance. Il est temps aussi de s’allier — l’union de l’Assemblée des maires de France, de celle des départements de France et de Régions de France à travers « Territoires unis » est de ce point de vue un bon début. Que les élus locaux aient le courage de faire les arbitrages nécessaires entre eux et de partir souder dans la négociation avec l’État. Il est temps que cessent les postures et les querelles de clochers celles-là mêmes qui ont empêché la vitalité des conférences territoriales de l’action publique (CTAP) initiées par la loi NOTRe. Les CTAP, un espace et un outil prometteur de bonne gouvernance locale, ont été malmenées — à quelques exceptions près ici et là — par des exécutifs bien en peine de coopérer et de se coordonner dans une mise en œuvre synchronisée de l’action publique à l’échelle de l’espace régional.

Par nature, l’État n’est pas généreux et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il le soit davantage aujourd’hui qu’hier, à l’occasion du projet de loi « 3D » dont on perçoit l’emballage marketing rien qu’à le nommer. L’État aime à voir les collectivités locales divisées et leurs élus se diviser. Pendant ce temps, les collectivités sont abonnées au rang de prestataires de services ou de sous-traitants d’un État qui se délestent des compétences qu’il ne veut plus ou ne peut plus assumer.

Si l’on est de ceux qui pensent que la puissance publique est dans les territoires, alors militons pour que l’application concrète du principe de subsidiarité, le respect de l’autonomie et de la responsabilité locales, mais aussi la prise en compte de la diversité, aient désormais pleinement droit de cité. Ce processus, seul le pouvoir politique territorial uni peut l’enclencher d’une seule voix. Puisse-t-on collectivement comprendre que l’état préoccupant de la sphère publique française dans son ensemble (État et collectivités locales), comme la gravité de la crise sociale dans notre pays, exigent des réponses autres qu’homéopathiques.

Prenons au mot le Conseil d’État lui-même qui énonçait dans les conclusions de son rapport public en 1993 : « la décentralisation n’est pas un simple habillage, un prêt à porter, elle exige des habits neufs, du sur-mesure ». L’État est-il prêt ? Il faut l’espérer. Toujours est-il que les exécutifs territoriaux se doivent de l’être. Ils sont à une croisée des chemins dans l’affirmation de leur capacité à se chaîner et à « faire alliance ». Souhaitons que les militants de la décentralisation se mettent en marche.

 

J-P. B