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Le nouveau Premier Ministre, lors de son discours de politique générale[1], s’est montré offensif en réaffirmant l’autorité républicaine.

Durant l’été, l’actualité s’est faite l’écho de plusieurs faits graves (Saint-Ouen, Saint Denis, Nice et Grenoble) sur fond d’occupation de l’espace par des bandes rivales notamment liées au contrôle du trafic de drogue.

C’est à Nice, précisément, que le 25 juillet dernier, le Premier Ministre a fait l’annonce de la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros.

Avant tout, reconnaissons que cette AFD — si elle est suivie et généralisée par le Parquet — permettra aux policiers d’éviter des procédures fastidieuses, aux effets limités qui les mobilisent au détriment de l’efficacité de l’action. Les principaux syndicats de police lui ont réservé un accueil assez bienveillant, reconnaissant que cette mesure constitue un gain de temps, leur permettant d’être plus efficace sur le terrain.

Mais l’est-elle pour l’autorité de l’État ? Sans doute trop tôt pour le dire : une évaluation devra être faite à courte, moyenne et plus longue échéance.

Tant que nous continuerons à minorer les incidences sur la santé publique de la consommation de stupéfiants y compris ceux qualifiés par démagogie de « drogues douces » voire d’acte récréatif, nous ne lutterons pas efficacement contre les trafics.

Pendant le confinement, le non-respect de cette disposition permettait aux forces de l’ordre d’intervenir et de sanctionner l’occupation abusive de l’espace public.[2] Nous pensons que pour être efficace, l’AFD de 200 euros pour consommation de stupéfiants doit se doubler d’une AFD pour occupation illégale de l’espace public, ainsi les forces de l’ordre tiendraient les deux bouts de la chaine répressive.

Nous pensons par ailleurs que si l’objectif est de frapper le consommateur au portefeuille, une amende forfaire délictuelle de 200 euros n’est pas significative, il faudrait doubler l’amende.

Nous pensons également qu’il faut que la manne financière provenant de l’AFD ne soit pas noyée dans le budget général de l’État mais fléchée et répartie comme suit :

– pour moitié (50%) dans des campagnes nationales de sensibilisation aux risques liés à la consommation régulière de stupéfiants.

– la seconde moitié restante doit venir sous la forme d’une dotation d’équipement pour les forces de sécurité.

Enfin, l’État — qui veut faire de la lutte contre « l’ensauvagement de la société » sa priorité — ne doit pas tomber dans le piège de la dépénalisation, d’autant moins s’il veut reconquérir les fameux territoires perdus de la République[3]. Pour se faire et selon une approche subsidiariste, l’opinion publique doit elle-même s’emparer de cette volonté et les représentants de l’État l’incarner au travers de deux vertus : la force et la tempérance pour un retour de la confiance.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Cédric GRUNENWALD[4]

[1] Ramenée à 150 euros si elle est acquittée dans les 15 jours ou majorée à 450 euros en cas de retard de paiement
[2] Contravention de 135 euros. Art L3136-1 du code de santé publique
[3] L’exemple de Saint Ouen en Seine Saint Denis où des habitants ont passé un accord avec des dealers pour qu’ils assurent la tranquillité publique montre la faillite de notre système républicain.
[4] Associé gérant du programme ForTemps, cabinet qui développe ses activités autour de l’équation Sécurité = Force & Tempérance.


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Par Jean-Pierre Balligand, président de l’Institut de la Gouvernance Territoriale

Le 6 janvier 2020, Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, lançait à Arras le processus de consultation territorialisé qui doit nourrir le projet de loi « décentralisation, différenciation, déconcentration » (3D) dans la perspective d’une présentation au conseil des ministres à la fin du premier semestre 2020. À cette occasion, la ministre a relié sa feuille de route aux annonces faites par le président de la République, lors du Congrès des maires, le 19 novembre 2019, à savoir que « la décentralisation devait s’assortir d’une logique d’efficacité dans la répartition des compétences, de lisibilité de l’action publique et d’une clarification des responsabilités fiscales ».

Sur le premier « D », le gouvernement souhaite « parfaire la décentralisation (…) dans les secteurs prioritaires du logement, des mobilités et de la transition écologique » ; prévoir « une dévolution du pouvoir réglementaire dans le champ des compétences déjà transférées ou susceptibles de le devenir » et développer « l’outil contractuel, la délégation de compétence et la participation à la gouvernance ». En matière de différenciation, il est question de promouvoir la différenciation sans attendre la révision constitutionnelle afin que « lorsqu’une spécificité objective le justifie, le droit puisse être adapté aux particularités du territoire national ». Par ailleurs, le gouvernement envisage « d’assouplir les conditions d’entrée dans les expérimentations locales et de renforcer l’accompagnement des collectivités territoriales dans leur conduite ». « Enfin, l’État devra poursuivre sa transformation par un vaste mouvement de déconcentration », écrit Jacqueline Gourault dans une lettre destinée aux Préfets du 13 décembre 2019.

Les actions annoncées s’apparentent peu sur le fond à un « vaste mouvement » tant elles font écho à des mesures déjà dévoilées courant 2019 : plans de relocalisation de certaines administrations hors de Paris et des grandes métropoles régionales ; déploiement du réseau France Services et de la nouvelle ANCT (Agence nationale de cohésion territoriale) qui a vu le jour le 1er janvier 2020 par un appui d’ingénierie personnalisé aux porteurs de projet.

Projet de loi « 3D », gare à l’illusion d’optique

S’engageant en 1982 dans la voie de la décentralisation, nous nous sommes arrêtés à mi-gué. Trente-huit ans après, ce qui mérite le plus d’attention dans cette affaire consiste en la différenciation. Une certaine autonomie normative des collectivités territoriale — que contient l’idée de différenciation — serait une chance pour la France et non un risque pour l’application du principe républicain d’égalité entre les citoyens même si vigilance il convient de garder. Cette évolution est logique, parce que seule elle permet de faire coïncider la théorie et la pratique de la décentralisation. Logique, parce qu’elle permet de répartir clairement les responsabilités politiques entre le niveau national et le niveau territorial. Logique, parce qu’elle permet de respecter des principes qui ne sont qu’en apparence contradictoires, l’égalité de traitement et la diversité des approches. Cependant, pour que l’affaire réussisse, il n’est pas inutile de rappeler qu’en matière de décentralisation, toute ambition implique une volonté politique forte d’aggiornamento. Et cette volonté, les élus territoriaux doivent les premiers en faire la preuve.

Renouer avec l’esprit militant de la décentralisation !

Sans doute faut-il que les égoïsmes territoriaux, les logiques de pouvoir, la morgue — même involontaire — des uns et des autres, les conservatismes de tous poils, s’effacent au bénéfice d’un processus de véritable dialogue. Du côté des élus locaux, il est temps de se faire confiance. Il est temps aussi de s’allier — l’union de l’Assemblée des maires de France, de celle des départements de France et de Régions de France à travers « Territoires unis » est de ce point de vue un bon début. Que les élus locaux aient le courage de faire les arbitrages nécessaires entre eux et de partir souder dans la négociation avec l’État. Il est temps que cessent les postures et les querelles de clochers celles-là mêmes qui ont empêché la vitalité des conférences territoriales de l’action publique (CTAP) initiées par la loi NOTRe. Les CTAP, un espace et un outil prometteur de bonne gouvernance locale, ont été malmenées — à quelques exceptions près ici et là — par des exécutifs bien en peine de coopérer et de se coordonner dans une mise en œuvre synchronisée de l’action publique à l’échelle de l’espace régional.

Par nature, l’État n’est pas généreux et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il le soit davantage aujourd’hui qu’hier, à l’occasion du projet de loi « 3D » dont on perçoit l’emballage marketing rien qu’à le nommer. L’État aime à voir les collectivités locales divisées et leurs élus se diviser. Pendant ce temps, les collectivités sont abonnées au rang de prestataires de services ou de sous-traitants d’un État qui se délestent des compétences qu’il ne veut plus ou ne peut plus assumer.

Si l’on est de ceux qui pensent que la puissance publique est dans les territoires, alors militons pour que l’application concrète du principe de subsidiarité, le respect de l’autonomie et de la responsabilité locales, mais aussi la prise en compte de la diversité, aient désormais pleinement droit de cité. Ce processus, seul le pouvoir politique territorial uni peut l’enclencher d’une seule voix. Puisse-t-on collectivement comprendre que l’état préoccupant de la sphère publique française dans son ensemble (État et collectivités locales), comme la gravité de la crise sociale dans notre pays, exigent des réponses autres qu’homéopathiques.

Prenons au mot le Conseil d’État lui-même qui énonçait dans les conclusions de son rapport public en 1993 : « la décentralisation n’est pas un simple habillage, un prêt à porter, elle exige des habits neufs, du sur-mesure ». L’État est-il prêt ? Il faut l’espérer. Toujours est-il que les exécutifs territoriaux se doivent de l’être. Ils sont à une croisée des chemins dans l’affirmation de leur capacité à se chaîner et à « faire alliance ». Souhaitons que les militants de la décentralisation se mettent en marche.

 

J-P. B


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Le récent record atteint par la crypto-monnaie « Bitcoin » a mis en avant la technologie qui l’abrite : la blockchain (ou chaîne de blocs). Un univers technique, particulièrement complexe, et conséquemment assez obscur. Au delà de la technicité de mise en œuvre des blockchains, c’est davantage au sens et aux objectifs qu’elle propose qu’il convient de s’intéresser.

Pour qui n’est encore ni utilisateur des usages des crypto-monnaies, ni adepte convaincu de la blockchain, le succès grandissant de ces deux termes mérite d’emblée une clarification. La crypto-monnaie, comme son nom l’indique, est « une monnaie électronique circulant sur un réseau informatique dit peer-to-peer ou pair à pair (ou décentralisée) pour valider les transactions et émettre la monnaie elle-même »[1]. Sur un autre plan, la blockchain, bien qu’elle ne réponde pas à une définition identifiée, est « une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle »[2]. Plus simplement, il faut comprendre que le premier est un outil de paiement par monnaie virtuelle à laquelle est affectée une valeur de change, alors que le second est un protocole informatique permettant de valider les transactions de ladite monnaie virtuelle. Ainsi, la crypto-monnaie n’existe pas sans la blockchain alors que l’inverse n’est pas nécessairement vrai.

En effet, l’utilisation de la technologie blockchain se diversifie et s’extrait de plus en plus du seul champ de la finance pour intégrer des activités telles que l’agriculture, le droit, et même l’enseignement.

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Blockchain : une culture numérique de la décentralisation

Les définitions précitées font ressortir deux champs sémantiques qui ont inspiré la rédaction du présent billet : « un réseau informatique décentralisé » et « sans organe central de contrôle ».

Voilà plus de 30 ans, depuis les lois de 1982, que le terme de décentralisation ne trouvait pas une application différente de celle définissant le modèle d’organisation territoriale de la République. Or, de la même manière que l’organisation administrative d’un territoire répond à une certaine architecture, celle des réseaux numériques tend à se repenser.

Mais qu’est-ce que la décentralisation dans le cadre de la blockchain ? En informatique, un système de fichiers décentralisés (ou en réseau) est un système qui permet le partage de fichiers à plusieurs personnes au travers du réseau informatique[3].

Pas très clair ? C’est normal, et c’est la raison pour laquelle les spécialistes préfèrent l’image du « grand livre ouvert sur la place publique » dans leurs explications. Ainsi la blockchain serait comme un grand livre ouvert sur une place publique sur lequel chacun vient inscrire publiquement une action (i-e : une transaction, un contrat, etc…). De fait, sans l’accord de la majorité, personne ne peut y rectifier une page déjà écrite. Mais qui détiendrait cette majorité ? C’est ici qu’intervient le sens de l’architecture décentralisée puisque chaque action est rendue pratiquement (car aujourd’hui aucun cas n’a été recensé) infalsifiable par son fonctionnement décentralisé. Avec un système centralisé, les actions sont enregistrées dans un livre détenu par un tiers (ex : google, les banques, etc…) sur lequel repose la confiance des utilisateurs. Or à travers le système décentralisé, le livre est détenu par l’ensemble des utilisateurs, ce qui permet de se passer du tiers chargé habituellement de la validation et de l’historique des transactions.

Tout est donc question de confiance !

Le modèle décentralisé du protocole blockchain repose donc sur l’absence d’un élément central comme élément régulateur. Cette conception offre ainsi à une communauté de membres d’une blockchain la possibilité de s’affranchir d’une autorité centrale pour certifier l’exactitude d’une action.

Par transposition, la blockchain (à son apogée) rendrait envisageable de construire une confiance autrement qu’à partir des lois ou de la force d’un Etat central ou encore d’une collectivité. La particularité de cette technologie est en effet de sortir des schémas verticaux pour une totale horizontalité. Il ne s’agit pas là de remettre en question la fonction politique dans la gouvernance d’un territoire, mais au contraire de s’interroger sur la façon dont la sphère publique pourrait s’imprégner d’une telle technologie dans la rénovation de ses relations et ses services avec les administrés.

 

Blockchain et pouvoirs publics

Cette technologie en est encore à ses balbutiements mais cela n’empêche pas certains acteurs économiques à s’y intéresser de près. Il s’agit notamment de ces fameux « tiers de confiance » tels les banques ou encore certains professionnels du droit. Or, dans bien des cas, les acteurs publics agissent aussi comme tiers et pourraient, selon les évolutions prises par cette technologie, être contraints de s’y adapter.

Malgré les défis restant à relever pour le déploiement simplifié et universel d’une telle technologie, la sphère publique perçoit les évolutions prévisibles et, les expérimente déjà.

A titre d’exemples :

  • En France

Le 29 mars 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a annoncé, à l’occasion des Assises du financement participatif, une adaptation de la réglementation financière afin de permettre l’expérimentation de blockchains dédiées au marché des bons de caisse.

Au cours de cette conférence, Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé la création d’une nouvelle catégorie de bons de caisse adapté au financement participatif : les minibons. Ceux-ci ont la particularité suivante[4]: « Sans préjudice des dispositions de l’article L. 223-4 du Code monétaire et financier, l’émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat. »

La porte à l’utilisation de la blockchain est entre-ouverte.

  • Royaume-Uni : Le gouvernement et sa division des Services Gouvernementaux Numériques, GDS (Government Digital Services), ont exploré la façon d’utiliser la technologie de la blockchain en tant que registre numérique. Les registres gouvernementaux traitent des données telles que des renseignements sur le cadastre, des données d’entreprise et des informations d’immatriculation de véhicules. Les données contenues dans ces registres peuvent être sensibles, et ont besoin d’avoir des niveaux élevés d’intégrité, car beaucoup concernent des entités juridiques. Afin de maintenir cette intégrité, les GDS envisagent d’utiliser la blockchain comme possible protocole pour ces registres. Le Bureau du Gouvernement pour la Science britannique a publié un rapport détaillé intitulé « La technologie des registres distribués : au-delà de la chaîne de blocs » (“Distributed Ledger Technology: beyond blockchain”)[5].
  • États-Unis : L’administration a accordé 3 millions de dollars aux chercheurs pour examiner les utilisations de crypto-monnaies, y compris leur application aux « contrats intelligents » (smart contracts). Les contrats intelligents transforment un contrat standard en un programme exécutable sur la base de règles qui, une fois appliquées, exécutent ensuite les différentes dispositions du contrat tout au long de son cycle de vie. Le gouvernement souhaitait connaître comment les contrats intelligents pouvaient modifier la façon dont se déroulent les transferts financiers (tels que l’impôt, d’autres financements). En effet, chaque séquence est enregistrée et horodatée dans la blockchain, ce qui lui assure sa propre intégrité, le cryptage la rendant inviolable.
  • Singapour : Le gouvernement et l’Autorité Monétaire de Singapour (MAS), ont investit près de 225 millions de dollars en « FinTech » (technologie financière) et en innovation, dont une partie concerne l’utilisation de la technologie de la blockchain pour un stockage sécurisé des données[6].
  • Tunisie : Le gouvernement utilise la technologie de la blockchain pour améliorer l’accessibilité aux services financiers pour tous les citoyens[7].
  • Estonie : un programme « e-residence » a été établi pour permettre à quiconque dans le monde entier de demander à devenir e-résident de l’Estonie (pour y implanter une entreprise, par exemple). Les résidents obtiennent leur carte d’identité numérique avec une clé cryptographique afin de signer des documents numériques en toute sécurité, le tout en supprimant la nécessité d’une signature manuelle sur les formulaires gouvernementaux. De cette façon, les citoyens estoniens à part entière peuvent voter et voir quelles sont les données détenues par le gouvernement à leur sujet ; qui y a accédé et pour quelles raisons[8].

 

La blockchain : un protocole informatique, une culture décentralisée et fondée sur la confiance entre les parties prenantes

En conclusion, le concept de cette technologie distribuée ou décentralisée représente un possible bouleversement de nos usages personnels, professionnels et même citoyen. Toutefois, l’engouement médiatique incontestable, décuplé par le succès (spéculatif) du Bitcoin, a créé une forme de « buzz » autour de la blockchain qu’il convient de nuancer. En effet, la technologie blockchain a encore besoin de temps : pour se simplifier, pour se déployer, pour créer ses propres usages et écosystèmes.

En revanche, si le temps d’une émancipation globalisée de la blockchain n’a pas encore sonné, il convient de retenir que les phases expérimentales sont lancées et pour reprendre une citation de Bill Gates : « On surestime toujours le changement à venir dans les deux ans, et on sous-estime le changement des dix prochaines années. Ne vous laissez pas bercer par l’inaction»[9].

 

Alain-Joseph Poulet
Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crypto-monnaie

[2] https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_de_fichiers_distribu%C3%A9

[4]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5391A6236F27AAE736F68CF13B0C1A5F.tpdila11v_2?cidTexte=JORFTEXT000032465520&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000032465291ggh

[5] https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/492972/gs-16-1-distributed-ledger-technology.pdf

[6] http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2016/11/16/97002-20161116FILWWW00119-singapour-va-lancer-une-plateforme-blockchain.php

[7] http://www.usine-digitale.fr/article/la-tunisie-pionniere-sur-la-blockchain.N373061

[8] http://convention-s.fr/wp-content/uploads/2016/12/EN-ESTONIE-_-BLOCKCHAIN-EN-PASSE-DE-REMPLACER-LES-NOTAIRES-_.pdf

[9] Gates, B., Myhrvold, N., & Rinearson, P., 1996. The road ahead (2nd ed.). New York ; London: Penguin Books.


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Dimanche 4 décembre 2016, les Italiens sont appelés aux urnes pour s’exprimer dans le cadre d’un référendum portant révision de la Constitution du 1 janvier 1948. Examinons la question à laquelle il leur est proposé de répondre :

Approuvez-vous le texte de la loi constitutionnelle sur les « dispositions pour dépasser le bicamérisme, sur la réduction du nombre des parlementaires, sur la maîtrise des coûts de fonctionnement des institutions, sur la suppression de la Cnel et sur la révision du titre V de la deuxième partie de la constitution », tel qu’approuvé par le Parlement et publié dans le no 88 de la Gazzetta ufficiale du 15 avril 2016 ? »

Ce référendum s’inscrit dans un processus de réformes initié par Matteo Renzi, Président du Conseil italien, dès son arrivée au pouvoir en 2014. Si la France était, parallèlement, traversée par un vent de réformes territoriales, l’Italie n’était pas en reste et s’apprêtait à vivre la « Renzimania ». Les réformes évoquées sous le Gouvernement « Renzi » sont multiples :

  • Economiques : à travers le « jobs act » ;
  • Fiscales : suppression de l’impôt foncier et de la taxe d’habitation sur la résidence principale et la réduction de l’impôt pour les bas revenus et d’allègement en faveur des entreprises ;
  • Et d’ordre constitutionnelle.

A quelques jours du vote référendaire, examinons le contenu de la reforme constitutionnelle proposée :

Le contexte politique : le phénomène « Renzimania »

Aucune surprise dans la démarche. En effet, ironie ou sens de l’humour, c’est devant le Sénat en février 2014, que l’ancien maire de Florence, Matteo Renzi, annonçait ses ambitions de réformes devant contribuer au renouveau économique et social de la péninsule italienne. Et parmi ces réformes, figurait la modernisation de l’institution sénatoriale dans sa forme actuelle, jugeant le processus législatif (« fabrique de la loi ») trop lent.

Il affirmait en ces termes « vouloir être le dernier Premier ministre à demander la confiance du Sénat ». Un discours audacieux pour celui qui ne disposait même pas de l’âge légal pour siéger au Sénat (celui-ci étant fixé à 40 ans et n’en ayant que 39 ans alors).

Pour l’accompagner dans cette modernisation c’est une jeune avocate Maria Elena Boschi qui sera nommée, en février 2014, « ministre pour les Réformes constitutionnelles et les Relations avec le Parlement ». Au regard des vifs débats parlementaires, il aura fallu presque 2 ans pour convaincre de l’opportunité de la réforme : le 12 avril 2016, la « loi Boschi » ou « Renzo-Boschi » est adoptée définitivement… enfin presque. Une victoire pour Président du Conseil qui avait fait de cette réforme une de ses priorités : « la mère de toutes les réformes ». « Si nous la faisons, alors nous aurons réussi notre tournant » [1]. M. Renzi veut être celui qui changera définitivement (jusqu’à la prochaine réforme) le cadre institutionnel de l’Italie.

Malgré le vote parlementaire, la loi n’est pas encore définitive et son entrée en vigueur est suspendue au vote référendaire. Cela, en raison de la nature constitutionnelle de la loi et conséquemment des règles de majorités applicables.

Ces règles sont définies à l’article 138 de la Constitution italienne [2] du 1er janvier 1948:

« Les lois de révision de la Constitution et les autres lois constitutionnelles sont adoptées par chaque chambre au moyen de deux délibérations successives à un intervalle de trois mois au moins et elles sont approuvées, au second tour de scrutin, à la majorité absolue des membres de chaque chambre.

Ces lois sont soumises à un référendum populaire lorsque, dans les trois mois suivant leur publication, un cinquième des membres d’une chambre ou cinq cent mille électeurs ou cinq conseils régionaux en font la demande. La loi soumise à un référendum n’est pas promulguée si elle n’est pas approuvée à la majorité des suffrages valablement exprimés.

Il n’y a pas lieu de procéder à un référendum si la loi a été approuvée au second tour de scrutin par chacune des deux chambres à la majorité des deux tiers de ses membres. »

En l’espèce, la loi « Boschi » a été adoptée à la majorité absolue (moitié des voix plus une) manquant ainsi la majorité qualifiée des deux tiers du Parlement pour passer outre le référendum. Ainsi, en application de l’article 138, la procédure de référendum a été ouverte à la demande des membres du Parlement réunissant au moins les un cinquième des membres d’une Chambre (et en l’espèce le seuil des 1/5ème était atteint dans les deux Chambres). [3]

La lecture de la question posée au peuple italien fait apparaître les principales dispositions contenues dans cette loi de réforme constitutionnelle dont il convient d’en présenter les détails ci-après.

 

Les dispositions de la loi constitutionnelle soumises au référendum

1. Vers la fin du « bicamérisme parfait »

En Italie, le processus législatif s’articule autour d’un Parlement composé par la Chambre des députés (l’équivalent de l’Assemblée nationale) et par le Sénat. L’organisation du Parlement est dite « parfaite » ou « paritaire », en ce sens que les deux chambres disposent des mêmes compétences. En pratique, cela se traduit par l’obligation qu’un texte de loi soit examiné à tour de rôle par les députés et par les sénateurs. Une procédure également connue sous les termes de « navette parlementaire ».

Mais si l’organisation du Parlement italien est « parfaite », pourquoi la modifier ? L’objectif affiché par Matteo Renzi est triple :

  • simplifier la vie politique,
  • réduire les coûts
  • garantir plus de stabilité politiqu

Cela passerait donc par une révision de l’organisation du Parlement, et donc des relations entre les deux Chambres, qui vise à rendre la « fabrique de la loi » plus efficiente permettant une adoption des textes dans des délais plus courts.

En pratique, le passage d’un bicamérisme parfait en un bicamérisme imparfait induit l’introduction de la notion de différenciation parlementaire et l’idée que les deux Chambres n’ont pas la nécessité d’intervenir égalitairement dans toute la fabrication d’un texte de loi.

Par ailleurs, la forme actuelle du Parlement (bicamérisme parfait) présente des contraintes politiques. En effet, à considérer que les deux Chambres ont les mêmes compétences, un gouvernement ne pourrait survivre sans majorité en leur sein.

Pour les militants du « NON » (rejet du référendum), la modification de l’organisation parlementaire n’aurait aucun sens et aucun impact financier.

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2. La modernisation du Sénat

La fin annoncée du bicamérisme parfait modifie donc le rôle du Parlement. Mais de quelle manière ? C’est sur le Sénat que le président du Conseil a porté son dévolu sans pour autant le supprimer puisqu’il conserve sa dénomination actuelle : il Senato della Republica.

Réduction du nombre de parlementaires. Qui et combien ?

Le Sénat dans sa forme actuelle compte 321 sénateurs élus au suffrage universel direct dans un cadre régional. Cette réforme propose une révision majeure de l’institution dont [4] :

  • La réduction du nombre de sénateurs de 321 à 100 :
    • 95 élus régionaux (la durée du mandat des sénateurs coïncide avec celle des organes des institutions locales à partir de laquelle ils ont été élus)
    • 5 nommés par le gouvernement (ces cinq derniers seront élus pour sept ans, le temps du mandat présidentiel) ;
  • L’indemnité des sénateurs est supprimée ;
  • En terme de compétences :
    • Le Sénat ne votera plus la confiance du Gouvernement ;
    • Le Sénat n’aura plus de compétences en matière d’Etat d’urgence, ou de guerre ;
    • Il conserve toutefois des pouvoirs législatifs dans les domaines suivants :
      • Les rapports entre l’Etat, l’Union Européenne et les territoires ;
      • Sur les textes modifiant les compétences régionales ;
      • Pour les lois de révision de la Constitution ;
      • Pour les lois relatives aux référendum populaire
      • Pour les lois qui déterminent les règles électorales, les organes et les fonctions fondamentales des communes et des Métropoles et les groupements de communes.

Dans ce contexte, la Chambre des députés deviendra l’unique assemblée législative.

Réduction des coûts institutionnels : l’exemple de la suppression de la CNEL

Poursuivant une logique de réduction des coûts de fonctionnement des institutions, le Consiglio Nazionale dell’Economia e del Lavoro (Conseil National de l’Economie et du Travail, l’équivalent du CESE) sera supprimé. Le CNEL est un organisme consultatif du gouvernement, du Parlement, des Régions et des Provinces autonomes, auxquelles il fournit, sur demande, des avis en matière économique et sociale. Le CNEL a été institué par l’article 99 de la Constitution italienne en janvier 1957 ; et son activité est encadrée par la loi n° 936 de 1986 et par la loi n° 383 de 2000.

Le CNEL exprime des avis demandés par les dites Institutions et offre des propositions et des avis sur la législation nationale et régionale, en matière de législation économique et sociale.

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3. La révision du titre V de la deuxième partie de la constitution : suppression des « province » (nos départements)

Le titre V de la Constitution italienne du 1er janvier 1948 est consacré aux dispositions relatives à l’organisation territoriale de la République italienne et sur les statuts des collectivités territoriales. Ce titre s’intitule les « régions, provinces, communes ».

Ainsi, comme en France, l’organisation territoriale de la République italienne repose sur des échelons administratifs disposant de compétences propres, voire pour certains de pouvoirs législatifs.

A titre de rappel, l’Italie est composé de 20 régions [5] dont 15 dites à statut normal et 5 régions autonomes dites à statut particulier. La réforme, objet du référendum, ne concerne d’ailleurs pas les 5 régions autonomes que sont : Val-d’Aoste, Trentin-Haut-Adige, Frioul-Vénétie Julienne, Sicile, Sardaigne.

Ainsi, la loi « Boschi » prévoit une disposition majeure relative à l’organisation territoriale de la République italienne à savoir : la suppression des « province ». Les Provinces pourraient avoir pour équivalence en France les départements. Dans ce contexte, l’article 114 de la Constitution serait ainsi modifié :

« La République se compose des communes, des villes métropolitaines, des régions et de l’État.

Les communes, les villes métropolitaines et les régions sont des entités autonomes ayant un statut, des pouvoirs et des fonctions propres, conformément aux principes établis par la Constitution. Rome est la capitale de la République. Son statut est réglé par la loi de l’État. »

Conséquemment les termes de « Province » sont abrogés aux articles 118 et 119 de la Constitution.

Quelles conséquences sur les collectivités territoriales ?

L’impact de cette suppression n’est pas neutre puisqu’elle vient redéfinir les compétences entre les collectivités restantes, ainsi que renforcer le rôle de l’Etat. D’ailleurs, il est intéressant de noter que la réforme prévoit une révision quasi intégrale de l’article 117 de la Constitution qui définit la répartition de compétences législatives entre les Régions et l’Etat. La réécriture de cet article se traduit par un renforcement certain de l’Etat central.

En effet, la réforme abolit la notion de « compétences concurrentes » et transfère à l’Etat des compétences jusqu’alors partagées (concurrentes) avec les régions. Parmi celles-ci, l’Etat devient seul compétent sur[6] :

  • La coordination des finances publiques et le système d’imposition; La péréquation des ressources financières ;
  • Les règles de procédure administrative et la réglementation de la fonction publique visant à assurer l’uniformité sur le territoire national ;
  • Les dispositions générales et communes pour la protection en matière de santé, pour les politiques sociales et pour la sécurité alimentaire
  • Les dispositions générales et communes pour l’éducation; le système éducatif; l’enseignement universitaire et la planification stratégique de la recherche scientifique et technologique;
  • Le scrutin électoral, les organes et les fonctions fondamentales des municipalités et des villes métropolitaines; ainsi que sur les dispositions relatives aux formes de regroupements communaux ;
  • La sécurité sociale, y compris les pensions complémentaires ; la protection et la sécurité d’emploi; les politiques du marché du travail ; les dispositions générales et communes sur la formation professionnelle ;
  • La protection et la valorisation du patrimoine culturel; l’environnement et l’écosystème; le droit du sport; les dispositions générales et communes sur les activités culturelles et le tourisme ;
  • Les dispositions générales et communes sur la production, le transport national de l’énergie et la distribution ;
  • Les infrastructures stratégiques des grands réseaux de transport, des ports et des aéroports civils d’intérêt national et international.

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4. Les autres dispositions de la réforme constitutionnelle

L’expression de la démocratie

L’article 71 de la Constitution confère au peuple italien un pouvoir législatif à travers l’«initiative législative ». Ce droit permet à 50.000 citoyens signataires de proposer un texte de loi.

La réforme constitutionnelle modifie le présent article qui élève le seuil des signataires qui passe de 50.000 à 150.000 citoyens.

Le référendum

Deux nouvelles catégories de référendum sont créées :

– le référendum « propositivo » : délibératif ;

– le référendum « di indirizzo » : pour avis/consultation.

Pour décider des modalités et des effets de ces modes de consultations citoyennes, il faudra, dans un premier temps, une loi constitutionnelle puis, dans un second temps, une loi ordinaire.

L’élection du président de la République

Les modalités d’élection du président de la République sont modifiées comme suit :

  • Participeront seulement à l’élection, les députés et sénateurs ;
  • Les règles de quorum sont modifiées :
    • Majorité des deux tiers des votants pour les trois premiers scrutins,
    • Majorité des trois cinquièmes des votants à partir du quatrième scrutin,
    • Majorité des trois cinquièmes des votants à partir du septième scrutin.

Le président de la République pourra dissoudre uniquement la Chambre des députés, et non plus le Sénat. Le président de la Chambre des députés devient suppléant du président de la République en cas d’incapacité de ce dernier.

Les enjeux de la réforme constitutionnelle

L’exercice soumis à l’appréciation démocratique présente bien des enjeux. Le premier, et plus apparent, c’est un enjeu historique. Ce référendum constitutionnel sera le 3ème en 15 ans, les deux derniers datant de 2001 [7] et 2006 [8]. Le second porte sur l’issue même du référendum.

Si, le « Oui » l’emporte, alors ce référendum constituera l’une des plus importantes modifications institutionnelles depuis la fin de la monarchie italienne.

Aussi, ce référendum pose comme autre enjeu, « l’équilibre parlementaire » permettant d’apporter, enfin, une réponse à une fabrique de la loi pesante et immobilisante. Concrètement, il s’agira par cette réforme de transformer le « Sénat de la République » par un « Sénat des Régions ».

Toutefois, selon Carlo Rapicavoli, directeur général de la Province de Treviso :

« La révision du titre V apporte avec elle de nombreuses contradictions. Elle n’a pas clarifiée ou résolue les principales questions critiques découlant de la réforme de 2001. Elle consacre le retour de l’Etat, donnant aux relations entre les autorités nationales et locales un tournant clairement centraliste. La réforme limite le pouvoir législatif des régions et n’apporte pas d’éléments de clarté dans la répartition des compétences entre les collectivités et l’Etat. Elle supprime ainsi un chemin lent et difficile de la décentralisation administrative et renforce le renouveau de la centralisation. Elle perpétue et renforce une différenciation claire entre les territoires – régions spéciales et normales-. Enfin, elle trahit et contredit le principe fondamental de notre droit consacré par l’art. 5 [9] de notre Constitution. » [10]

Vers un parlementarisme différencié en France

En 2015, déjà le blog de l’IGTD abordait cette notion de « fabrique de la loi » en France puisqu’en 2008, François Fillon, Premier ministre, avait informé, dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, que « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». De cet acte, une forme d’obligation de résultats engageait ses ministres. En effet, la circulaire prévoyait, et le prévoit toujours, la publication tous les 6 mois sur le site www.legifrance.gouv.fr des bilans de l’application des lois. Le dernier bilan en ligne (au 30 juin 2015) fait état que seul 70% des décrets d’application ont été effectifs et publiés par le gouvernement. Le calcul est rapide, 30% des textes de lois sont encore dans l’attente de publication, et restent donc inapplicables. Les raisons de cette attente sont diverses, comme l’explique Philippe Bas, président de la Commission des lois du Sénat, « lorsque la publication des décrets se fait attendre, c’est en général que le compromis politique qui a été trouvé n’est pas applicables dans les faits. […]. Il arrive aussi que des décrets ne soient pas pris pour des questions de budget ».[11]

Depuis cette circulaire, la problématique reste inchangée et le temps législatif et son application demeurent longs. Sans doute, contrebalancer cette tendance est devenu un enjeu majeur. Le Président de la République François Hollande a, quant à lui, fait le choix d’un classement officieux de ses ministres.[12] Tous les moyens semblent permis mais lesquels fonctionnent ?

Les exigences du temps démocratique doivent inciter le législateur à la nécessité de réduire le temps de la « fabrique de la loi ». Une des réponses possibles pourrait se trouver dans la révision de la procédure législative et surtout dans les rôles respectifs des deux Chambres. Comme il a été rappelé ci-dessus, le bicamérisme français est inégalitaire du fait de la prédominance d’une Chambre sur l’autre. Mais cette prédominance ne se caractérise pas pourtant par des compétences différenciées selon la nature et l’objet des textes à examiner. Dès lors, les Chambres ne pourraient-elles pas disposer de compétences spécialisées en fonction de l’objet du texte de loi ? La « navette » parlementaire se verrait allégée de contraintes procédurales et libérée en vue de renforcer l’étape de mise en application de la loi.

Comme son voisin transalpin, doucement mais surement, l’idée d’une réforme émerge en France. L’inconnu réside quant à son intitulé : constitutionnelle, institutionnelle… et les ambitions des deux Chambres semblent déjà diverger. Comme en témoigne le récent témoignage de Gérard Larcher, président du Sénat, pour qui les objectifs d’une réforme seraient de « renforcer la participation aux travaux sénatoriaux, légiférer et contrôler plus efficacement, garantir la transparence financière et une gestion exigeante ».[13] A l’inverse, Claude Bartolone admet la lenteur de l’appareil législatif et va jusqu’à proposer « une révision constitutionnelle […] parallèlement je souhaite que nous ayons une réflexion sur nos institutions.»[14]

Le sujet de la différenciation parlementaire comme outil de fluidification du processus législatif est à présent ouvert voire plus que jamais une nécessité dans un monde mouvementé où l’expression démocratique dépasse le seul vote et les stricts grands rendez-vous électoraux.

Alain-Joseph Poulet
Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr

[1] http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/en-italie-matteo-renzi-lance-sa-reforme-constitutionnelle-513552.html

[2] http://mjp.univ-perp.fr/constit/it1947a.htm

[3] http://www.ilsole24ore.com/art/notizie/2016-04-20/referendum-riforme-depositate-firme-senatori-dell-opposizione–115248.shtml?uuid=ACgAVRBD&refresh_ce=1

[4]http://www.repubblica.it/politica/2015/10/13/news/scheda_riforma_costituzione_senato_ddl_boschi_solo_testo-124904893/

[5] Piemont, Lombardie, Vénétie, Ligurie, Émilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marche, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicate, Calabre

[6] http://www.leggioggi.it/2016/10/26/referendum-costituzionale-contenuti-riforma-cosa-cambia-per-regioni-e-autonomie-locali/

[7] Réforme constitutionnelle approuvée le 18 octobre 2001 visant à modifier l’article V de la Constitution

[8] Réforme constitutionnelle des 25 et 26 juin 2006 dit de « réforme fédérale »

[9] Article 5 : « La République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales ; elle réalise dans les services qui dépendent de l’État la plus large décentralisation administrative ; elle adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l’autonomie et de la décentralisation. »

[10] http://www.leggioggi.it/2016/10/26/referendum-costituzionale-contenuti-riforma-cosa-cambia-per-regioni-e-autonomie-locali/

[11] Hélène Bekmezian interview de Philippe Basfustige « l’incroyable obésité » des textes, Le Monde, 5 août 2015

[12]  Marc de Boni, « François Hollande fait classer les performances de ses ministres », Le Figaro, 26 juin 2015

[13] Sophie Huet, « Larcher propose une réforme du Sénat », Le Figaro, 12 mars 2015

[14] Hélène Bekmezian, interview avec Claude Bartolone, « Le président doit pouvoir débattre avec les parlementaires », Le Monde, 5 août 2015.


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Comme l’illustre le visa du Code général des collectivités locales qui accompagne le décret, la déconcentration contemporaine s’est définie d’abord au regard, voire en symétrie de la décentralisation. La charte de 2015 ne rompt pas avec cette réalité. Chaque « avancée » de la déconcentration a correspondu à la nécessité pour l’État de conforter et de réorganiser ses services territoriaux suite à un « choc » de décentralisation. On a pu le constater en 1992, alors que les lois de décentralisation de 82 commençaient à produire tous leurs effets, puis lorsque les transferts massifs de compétences issus de la loi du 13 août 2004 ont conduit inéluctablement à une profonde ré-ingénierie des services déconcentrés, d’abord par le décret du 29 avril 2004 (modifié en 2010), ensuite dans le décret « REATE » de 2009 relatif aux directions interministérielles, repris en visa dans la nouvelle charte. Certes, le terme de choc peut paraître excessif, s’agissant des développements récents de la décentralisation. Pour autant, ne doit pas être sous-estimé l’impact sur l’État déconcentré de deux décisions majeures, la nouvelle carte des régions (loi du 16 janvier 2015) et le transfert de la gestion des fonds européen des préfets de région (SGAR) aux régions (loi MAPTAM du 27 janvier et décret du 3 juin 2014). Il n’est pas indifférent que l’article définissant les missions de l’échelon régional se soit étoffé d’une charte à l’autre et que les préfets de région dominent à l’égal des secrétaires généraux des ministères la nouvelle conférence nationale de l’administration territoriale de l’État (CNATE). Face aux puissants présidents des « grandes régions » et de certaines métropoles, l’État tente de donner aux préfets concernés plus que du pouvoir, de l’influence. Mais il est vrai que dans ce paysage définitivement asymétrique, c’est son propre mode d’appréhension des territoires que l’État, sous impératif financier, doit interroger. Le décret du 7 mai s’essaye à redéfinir, à réaffirmer, à recomposer la déconcentration tout en faisant preuve dans la réalité du texte publié d’une prudence remarquée.

Une approche clarifiée de la déconcentration
L’introduction par la loi du 6 février 1992 du principe de subsidiarité avait conduit les auteurs de la charte à définir de manière sibylline la déconcentration comme « la règle générale de répartition des attributions et des moyens entre les échelons centraux et territoriaux des administrations civiles de l’État ». Même si cette rédaction est reprise pour ordre dans la charte de 2015 à l’alinéa 2 de l’article premier, la déconcentration fait l’objet d’un essai de définition inédit et bienvenu : « La déconcentration consiste à confier aux échelons territoriaux des administrations civiles de l’État le pouvoir, les moyens et la capacité d’initiative pour animer, coordonner et mettre en œuvre les politiques publiques définies au niveau national et européen, dans un objectif d’efficience, de modernisation, de simplification, d’équité des territoires et de proximité avec les usagers et les acteurs locaux. » On trouve dans ce premier alinéa, comme dans plusieurs autres articles, l’affirmation d’une coproduction entre les diffé- rents niveaux de décision de l’État, aux antipodes d’une subsidiarité abstraite et inopérante. Le changement de perspective qui s’esquisse rend crédible, à terme, le découplage partiel entre une déconcentration ainsi « recentrée » et une décentralisation ouverte à la diffé- renciation territoriale.

Si l’objectif pluriel assigné à la déconcentration s’inscrit naturellement dans l’esprit de la modernisation de l’action publique (MAP), « l’efficience » apparaît en tête des préoccupations d’un État qui comprend 90 % de ses effectifs dans les services territoriaux. L’esprit de la REATE est ici parfaitement intégré. Les préfets sont donc invités à intensifier les mutualisations entre services déconcentrés ou à confier si nécessaire à l’un d’eux une mission pour le compte d’un autre. Et le regroupement de programmes budgétaires (ministériels) qui comportent des BOP locaux peut être envisagé dès lors qu’il repose sur un besoin de rationalisation partagé entre l’administration centrale concernée et le préfet de région.

Dans un tel contexte, la mention de la « proximité avec les usagers » s’avère tout à la fois porteuse de sens, car elle parle aux agents du service public, et porteuse d’exigence, dès lors qu’elle implique une profonde et urgente transformation des organisations à l’aune de la dématérialisation des procédures comme de la fragmentation sociale et territoriale du pays. La deuxième tentative de clarification du décret consiste à insérer dans le processus de déconcentration ceux des opérateurs de l’État qui disposent « d’une représentation territoriale ou qui concourent à la mise en œuvre des politiques publiques au niveau territorial ». Ayant mis en exergue dès le 3e alinéa de son article premier que la déconcentration impliquait « l’action coordonnée de l’ensemble des services déconcentrés et des services territoriaux des établissements publics de l’État », la charte consacre un long article 15 à la manière de garantir concrètement l’unité de l’action de l’État dans les territoires. On peut y déceler une réponse aux observations de la Cour des Comptes concernant les opérateurs, notamment dans son rapport de juillet 2013 sur l’organisation territoriale de l’État. Le préfet se voit ainsi reconnaître – dans certains cas – un droit de regard sur la nomination et l’évaluation du responsable territorial de l’opérateur, voire celui de désigner un membre du corps préfectoral pour remplir cette fonction.

La troisième contribution originale à la clarification de la déconcentration réside dans la création de la CNATE qui tranche par rapport aux habituels comités ou conseils de deux manières : d’une part, dans son objet qui est de veiller collectivement à l’articulation des politiques publiques entre administrations centrales, services à compétence nationale et services déconcentrés ; d’autre part, de par sa vocation à évaluer annuellement la cohérence mais aussi la dynamique des actions conduites en bonne intelligence par les préfets de région et les secrétaires généraux de ministère. Il sera pertinent de suivre le destin de cette Conférence d’un nouveau type à laquelle l’État confie en quelque sorte le rôle de garant de la coproduction entre le central et le territorial.

Une audace à peine entrevue
Il eût été logique d’ajouter à la liste des apports de la charte de 2015, cette innovation majeure que représente la possibilité pour le préfet de région de déroger « aux règles fixées par les décrets relatifs à l’organisation et aux missions des services déconcentrés de l’État » (art. 16). Mais la lecture comparée du décret paru le 7 mai et du projet de charte diffusé dans la presse trois semaines auparavant conduit plutôt à classer ce droit à l’expérimentation déconcentrée dans le chapitre des occasions manquées signifiantes.

En effet, le projet qui devait être soumis au Conseil des Ministres du 22 avril permettait au préfet de région de proposer des expérimentations pour l’ensemble des services déconcentrés, à l’exception des organismes ou missions à caractère juridictionnel et des actions d’inspection de la législation du travail (art. 32 et article 33 I 2° du décret de 2004). Or, le texte définitif exclut de ce dispositif tous les services et missions énumérés à l’article 33 dudit décret, à savoir l’Éducation nationale, l’INSEE, l’essentiel de la DGFiP et de la Douane, les Agences Régionales de Santé. Un « cavalier réglementaire » (art. 19) a été introduit in fine dans le chapitre « Disposition diverses », qui dévalue les ambitions novatrices de la charte en matière d’expérimentation, mais aussi de mutualisation et de rationalisation ou de mise à disposition des moyens. Paradoxalement, le texte ainsi amputé exprime désormais plus d’exigence pour des opérateurs à statut autonome que pour certains services ministériels déconcentrés.

Ajoutons que ne s’applique plus aux administrations exemptées l’article 18 du décret, qui donne mission à la CNATE de veiller « à la bonne articulation des relations entre les administrations centrales et les services déconcentrés et au respect des principes de déconcentration fixés par le présent décret ». L’écart crucial entre les deux versions résulte selon les observateurs de discussions et amendements énoncés lors du Conseil supérieur de la Fonction publique de l’État qui s’est tenu le 27 avril 2015.

L’autre prudence de la charte se manifeste par l’absence de toute perspective concernant le cadre d’action infrarégional des services déconcentrés. Autant le texte détaille avec un grand soin des compétences régionales substantielles (art. 5), confirmant la volonté de l’État d’af- ficher des préfets de région plus forts face à des collectivités plus puissantes, autant sont abordés de manière minimaliste les rôles assignés à la circonscription départementale (« échelon de mise en œuvre des politiques nationales et de l’Union », art. 6) et à l’arrondissement (« cadre territorial de l’animation du développement local et de l’action administrative locale de l’État », art. 7). On comprend que ce décret n’a pas vocation aujourd’hui à dessiner les territoires de la déconcentration de demain et qu’il se rattache à titre conservatoire au schéma préfectoral stabilisé depuis la IIIe République. On peut noter malicieusement qu’aurait dû figurer dans les visas de la charte le décret du 5 novembre 1926 de décentralisation et de déconcentration administrative, dont le titre III – art. 54, toujours en vigueur, définit les compétences générales du sous-préfet d’arrondissement.

 Un texte de transition?
De par le contexte de son élaboration qui s’apparente à un acte manqué, la charte de la déconcentration de 2015 constituera certainement un cas d’école pour les spécialistes de sciences politiques. De par son caractère non abouti et ses déséquilibres, elle figurera sans doute comme un sujet de perplexité durable pour les juristes.

Aux acteurs du périmètre REATE, et d’abord au corps préfectoral, en lien avec les administrations centrales concernées, de se saisir de ses potentialités pour innover, mutualiser, expérimenter, bref pour démontrer que ce décret du 7 mai peut être autre chose qu’un texte de transition.

 

B. N.


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