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« L’open data rapproche l’action publique des citoyens » déclarait le 17 novembre 2016 Estelle Grelier, Secrétaire d’Etat chargée des collectivités territoriales, à l’occasion des premiers Trophées pour les territoires[1].

Car oui, la transition numérique semble rendre la décision accessible à tous, les nombreuses initiatives prises notamment au niveau des collectivités tendent à le prouver : le choix du Conseil départemental du Nord de créer une base de données commune a ainsi amélioré son approche du territoire et offert une meilleure lisibilité de ses actions[2]. Le conseil départemental du Loiret, en lançant Loiret Numérique, marque clairement son choix de valoriser toutes les potentialités des différents usages du numérique pour que les collectivités du département coopèrent mieux[3].

En plus de gagner en efficacité, la solution semble même plus économique pour des résultats significatifs. Cet exemple confirme le statut du numérique comme véritable enjeu sociétal présent et à venir. Il se positionne aussi comme nouveau mode de gouvernance des territoires : archivage[4], gestion de l’eau[5], versement du RSA[6],…

 

La dépendance numérique : une piste sérieuse ?

Au delà de la volonté de rendre intelligible l’action publique et la gouvernance territoriale, la transition numérique doit nécessairement être maîtrisée par les acteurs publics, au regard de la nature des données collectées.

Si la gouvernance des territoires est amenée à se numériser davantage, les risques peuvent être nombreux : l’exemple d’une panne générale du système de données pourrait paralyser l’action publique et empêcher la bonne réception des informations nécessaires à une bonne coordination du processus de décision publique. Ce scénario laisserait imaginer une totale dépendance de la décision à la capacité numérique à moins d’initier des logiciels back-up de stockage d’urgence. Mais cette éventualité demande une capacité de maîtrise numérique.

Toutefois, le danger principal d’une numérisation de l’action publique réside dans la possibilité pour les opérateurs de se saisir des données des collectivités à des fins d’usage commercial. Il faudrait l’assurance que les collectivités puissent conserver une souveraineté sur les données mais cette garantie n’est pas acquise d’emblée. Ce nouveau mode d’administration laisserait la possibilité aux opérateurs et aux gestionnaires des logiciels d’utiliser à leurs propres fins certaines données.

Même dans un cadre d’usage exclusif de ces données par les collectivités, certaines dérives sont envisageables. Dans un souci d’amélioration des services, elles pourraient être tentées de personnaliser l’usage des données en utilisant notamment des capteurs. Si cette tâche est assumée par des opérateurs, il y a plusieurs risques majeurs, celui qu’ils se saisissent de l’opportunité pour récupérer les données et les exploiter ensuite. Il y a risque de violation des libertés individuelles si ce sont des opérateurs publics qui agissent de la sorte[7].

En effet, la bonne volonté initiale se transformerait en intrusion et en moyen de contrôle sur la vie privée. Cette possibilité a déjà fait l’objet d’une volonté de mise en application sur l’esplanade de La Défense à Paris où le géant de l’affichage publicitaire, JC Decaux, voulait installer des boîtiers afin de capter les données téléphones dans un rayon de 25 mètres. Cette initiative a déjà fait l’objet d’un refus de la part de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) puis du Conseil d’Etat[8]. Désormais, l’enjeu principal pour les collectivités n’est plus seulement de savoir se servir du numérique mais d’en assurer une réelle maîtrise et une bonne conservation des données[9].

La transition numérique dans la gouvernance territoriale, avec une mutation aussi forte et rapide, pourrait assez vite lui donner une dimension plus polémique. Le numérique passerait de transition à possible facteur de dépendance pour la décision…

 

 

                                                                                                                            Pavel REHOR

                                                                                                           Etudiant manager public à l’ISMAPP

                                                                                                    pavel.rehor@gouvernancepublique.fr

 

 

 

 

 

[1] http://www.lagazettedescommunes.com/472571/estelle-grelier-lopen-data-rapproche-laction-publique-des-citoyens/

[2] http://www.lagazettedescommunes.com/498554/nord-la-prevention-specialisee-gagne-en-visibilite-grace-a-sa-base-de-donnees-commune/

[3] http://www.magcentre.fr/126845-lagence-loiret-numerique-est-ouverte/

[4] http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/archives-publiques-les-enjeux-de-la-revolution-numerique/

[5] http://www.lagazettedescommunes.com/473033/vers-une-gestion-intelligente-du-reseau-deau-grace-au-big-data/

[6] https://www.nextinpact.com/news/101624-le-gouvernement-veut-dematerialiser-demandes-rsa.htm

[7] http://www.lagazettedescommunes.com/498769/lindispensable-anonymisation-des-donnees-personnelles-des-passants/

[8] http://www.lagazettedescommunes.com/490402/le-conseil-detat-interdit-le-tracage-des-mobiles-par-le-biais-des-panneaux-publicitaires/

[9] http://www.lagazettedescommunes.com/444084/maitriser-la-donnee-un-enjeu-central-pour-la-ville-intelligente/


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Introduite en mai 2016 par Vincent You, directeur de l’hôpital de Confolens (Charente) pour la rénovation de l’EHPAD qui y est attaché, la clause Molière s’est depuis installée dans le débat public. Pensée comme une mesure destinée à limiter le recours aux travailleurs détachés sur les chantiers publics, elle se concrétise par une clause ajoutée aux appels d’offres obligeant les travailleurs détachés non-francophones à être accompagnés d’un traducteur. Depuis la polémique grandit, ses détracteurs voyant en elle une mesure discriminatoire envers les étrangers, alors que ses soutiens y voient, eux, une normale mesure de préférence nationale visant à favoriser nos économies.

Dans les faits, c’est la plupart du temps par l’angle de la sécurité qu’est mise en place cette nouvelle mesure. Si cette clause est introduite sur les chantiers dont une collectivité est le maître d’œuvre, les travailleurs présents doivent, s’ils ne sont pas francophones, être accompagnés d’un traducteur agréé auprès des tribunaux[1]. La raison arguée est la bonne compréhension des consignes de sécurité sur les chantiers, même si selon Xavier Bertrand, Président du Conseil régional des Hauts-de-France, la mesure est « peut-être un peu tirée par les cheveux »[2].

Au-delà de la dimension politique de cette clause, se pose, devant son introduction et son application, certains obstacles de type juridiques et budgétaires.

Le risque de discrimination par les collectivités territoriales

Le premier obstacle qui se dresse sur son application est celui de la légalité. En effet, certains recours pourraient être lancés contre des collectivités l’utilisant, comme cela a déjà pu se produire dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, par la demande du Préfet de région au Conseil régional. En outre, Michel Delpuech, alors Préfet de Paris et d’Ile-de-France, avait par exemple mis en garde Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France quant à l’utilisation de telles mesures. Ce dernier prévient : « Si le Conseil régional méconnaissait ces dispositions et ces principes [de non discrimination dans les commandes publiques], je constaterais une illégalité manifeste qui me conduirait à mettre en oeuvre les voies de droit appropriées »[3]. Pour le Préfet, cette clause contrevient aux principes constitutionnels d’accès à la commande publique. Si la Région viole la loi comme il le pense, elle s’expose à un déféré préfectoral et il sera de la responsabilité du juge administratif de statuer sur la légalité de telles mesures.

Pour Vincent You, néanmoins, le risque de contentieux reste limité dans la mesure où la clause ne concerne que l’application et non l’attribution des marchés publics, une manière détournée de réaliser l’objectif de sélection des entreprises mais qui, selon certains juristes, pourrait s’avérer « payante » en cas de jugement[4].

 

La clause Molière : un enjeu aussi financier pour les collectivités

Le second obstacle réside dans le fait qu’une telle mesure demande aux collectivités concernées de vérifier que les personnels présents sur ses chantiers soient bien francophones et dans le cas où la réponse serait négative, qu’un traducteur soit présent dans les conditions prévues dans le contrat. La clause Molière pourrait donc se révéler avoir un coût important. Laurent Wauquiez, Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a par exemple choisi d’affecter cinq inspecteurs à plein temps sur cette mission de contrôle[5].

Reste maintenant à déterminer l’impact que peut avoir cette mesure sur les chantiers eux-mêmes. Si, a priori, la langue d’usage n’a pas grand rapport avec les compétences des ouvriers du bâtiment, la main d’œuvre francophone et qualifiée ne se trouve pas toujours en nombre[6]. La clause Molière pourrait donc avoir un effet néfaste sur le bon déroulement des chantiers dans la mesure où ces derniers pourraient manquer de personnels compétents, et ce au-delà de toute considération financière.

Avec un fort potentiel dissuasif pour les entreprises, la clause Molière risque de continuer pendant quelques mois à faire débat. Michel Sapin, Ministre de l’Economie et des Finances a saisi ses services pour déterminer la légalité de cette dernière, et, pour l’heure, aucun juge administratif ne s’est prononcé[7]. Toutefois, comme l’affirme Fabien Renou, rédacteur en chef du Journal Le Moniteur, il y a fort à parier qu’ « à la première censure, le dispositif tombera dans les oubliettes »[8]. L’avenir de la clause reste donc incertain, particulièrement à l’heure de la création du Code de la commande publique qui se voudrait simplificateur[9].

Alan Volant

Etudiant en gouvernance des territoires à l’Université Paris-Saclay

alan.volant@gouvernancepublique.fr

[1]http://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250271907762

[2]Ibid.

[3] http://www.lalibre.be/dernieres-depeches/afp/clause-moliere-le-prefet-d-idf-exhorte-pecresse-a-eviter-tout-risque-d-illegalite-manifeste-58d018b4cd705cd98e0fd760

[4] « Commande publique : clause Molière versus #TeamJuncker » La Semaine Juridique Edition Administrations et Collectivités n°29-33

[5] http://www.liberation.fr/futurs/2017/03/25/y-voir-plus-clair-dans-la-clause-moliere_1558102

[6] Ibid.

[7] http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/03/11/37002-20170311ARTFIG00092-bercy-saisi-pour-la-clause-moliere-imposant-le-francais-sur-les-chantiers.php

[8] http://www.lemoniteur.fr/articles/tartuffe-et-harpagon-34330668

[9] https://www.economie.gouv.fr/entreprises/marche-public-reforme


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