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La « fabrique » de la loi serait-elle en panne ? Voilà que l’actualité n’hésite plus à faire état des lenteurs, parfois lourdeurs, du temps législatif[1]. L’esprit des temps impose à l’appareil législatif de garantir le maintien simultané de deux critères :

  • la célérité, c’est-à-dire l’élaboration, la discussion, le vote sans oublier la promulgation de la loi dans un délai raisonnable,
  • l’effectivité, c’est-à dire l’assurance de la mise en application.

Or, notre organisation parlementaire repose sur un bicamérisme « inégalitaire »[2], (l’Assemblée nationale disposant de pouvoirs plus étendus que ceux du Sénat). Bien qu’elles disposent d’une représentation et de missions différentes, elles concourent conjointement à l’élaboration et au vote de la loi. En effet, l’élaboration de la loi est de la compétence conjointe et simultanée de chaque assemblée. Dans ce contexte, et sans prise en considération de l’objet de la loi, la « navette » parlementaire emprunte des routes à vitesse limitée.

Les tentatives d’accélération du temps législatif
La prise de conscience de cette réalité n’est pas récente. En 2008, François Fillon, Premier ministre, avait informé, dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, que « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». De cet acte, une forme d’obligation de résultats engageait ses ministres. En effet, la circulaire prévoyait, et le prévoit toujours, la publication tous les 6 mois sur le site www.legifrance.gouv.fr des bilans de l’application des lois. Le dernier bilan en ligne (au 30 juin 2015) fait état que seul 70% des décrets d’application ont été effectifs et publiés par le gouvernement. Le calcul est rapide, 30% des textes de lois sont encore dans l’attente de publication, et restent donc inapplicables. Les raisons de cette attente sont diverses, comme l’explique Philippe Bas, président de la Commission des lois du Sénat, « lorsque la publication des décrets se fait attendre, c’est en général que le compromis politique qui a été trouvé n’est pas applicables dans les faits. […]. Il arrive aussi que des décrets ne soient pas pris pour des questions de budget ».[3]

Depuis cette circulaire, la problématique reste inchangée et le temps législatif et son application demeurent longs. Sans doute, contrebalancer cette tendance est devenu un enjeu majeur. Le Président de la République François Hollande a, quant à lui, fait le choix d’un classement officieux de ses ministres.[4] Tous les moyens semblent permis mais lesquels fonctionnent ?

Comment passer d’un bicamérisme inégalitaire à un parlementarisme différencié ?
Les exigences du temps démocratique doivent inciter le législateur à la nécessité de réduire le temps de travail législatif. Une des réponses possibles pourrait se trouver dans la révision de la procédure législative et surtout dans les rôles respectifs des deux chambres. Comme il a été rappelé ci-dessus, le bicamérisme français est inégalitaire du fait de la prédominance d’une chambre sur l’autre. Dès lors, les chambres ne pourraient-elles pas disposer de compétences spécialisées en fonction de l’objet du texte de loi ? La « navette » parlementaire se verrait allégée de contraintes procédurales et libérée en vue de renforcer l’étape de mise en application de la loi.

Cette question de la différenciation parlementaire n’est pas spécifique à la France. En juillet 2014, le Président du Conseil des ministres italien a engagé une réforme constitutionnelle prévoyant, notamment, une refonte du Sénat. Cette réforme vise à répartir les rôles entre les deux chambres (Chambres de députés et Sénat). Plus précisément, le Sénat disposera d’une mission consultative en lieu et place de son rôle exécutif. Le bicamérisme « parfait » était, selon les auteurs de la réforme, source de pesanteurs politiques et d’une profonde inertie. Par ailleurs, dans sa nouvelle version, le Sénat recompose ses rangs limités à 100 membres (conseillers régionaux, maires et personnalités désignées par le Président de la République) contre 321 précédemment. Cette réforme s’inscrit aussi dans une recherche de réduction des dépenses puisqu’elle prévoit l’absence de rémunération des sénateurs. En l’état, en lecture devant le Parlement depuis 2014, le texte de loi est revenu en lecture au Palazzo Madama (siège du Sénat) en septembre 2015 [5] et a été adopté par le Sénat mardi 13 octobre 2015.

Dans cet élan, doucement mais surement, l’idée d’une réforme émerge en France. L’inconnu réside quant à son intitulé : constitutionnelle, institutionnelle… et les ambitions des deux chambres semblent déjà diverger. Comme en témoigne le récent témoignage de Gérard Larcher, président du Sénat, pour qui les objectifs d’une réforme seraient de « renforcer la participation aux travaux sénatoriaux, légiférer et contrôler plus efficacement, garantir la transparence financière et une gestion exigeante ».[6] A l’inverse, Claude Bartolone admet la lenteur de l’appareil législatif et va jusqu’à proposer « une révision constitutionnelle […] parallèlement je souhaite que nous ayons une réflexion sur nos institutions.»[7]

Le sujet de la différenciation parlementaire comme outil de fluidification du processus législatif est à présent ouvert. Les indicateurs nationaux et européens témoignent que le temps de la décision prévaut sur le maintien de configurations ayant vécu.

Alain-Joseph Poulet

Pôle Droit & Gouvernance IGTD
Doctorant Droit – Paris Dauphine
Mail : juris@gouvernancepublique.fr

                                                                                                                                                                 

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[1] Hélène Bekmezian, « Ces lois qui restent encalminées », Le Monde, 5 août 2015.
[2] Assemblée nationale, « Fiche de synthèse n°4 : L’Assemblée nationale et le Sénat – Caractères généraux du Parlement », consultée le 24 août 2015, disponible sur http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-institutions-francaises-generalites/l-assemblee-nationale-et-le-senat-caracteres-generaux-du-parlement
[3] Hélène Bekmezian interview de Philippe Basfustige « l’incroyable obésité » des textes, Le Monde, 5 août 2015
[4] Marc de Boni, « François Hollande fait classer les performances de ses ministres », Le Figaro, 26 juin 2015
[5] Reuters Italia, « Riforma Costituzione, emendamenti minoranza Pd su nuovo Senato », consultée le 24 août 2015, disponible sur http://it.reuters.com/article/topNews/idITKCN0QC1HU20150807?pageNumber=1&virtualBrandChannel=0
[6] Sophie Huet, « Larcher propose une réforme du Sénat », Le Figaro, 12 mars 2015
[7] Hélène Bekmezian, interview avec Claude Bartolone, « Le président doit pouvoir débattre avec les parlementaires », Le Monde, 5 août 2015.

 


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